5 livres à (re)lire pour comprendre le Printemps berbère

Depuis avril 1980, les mots ne cessent de noircir du blanc. Durant plus de quatre décennies, ils ont permis aux récits des chercheurs et des acteurs de s’épanouir, révélant progressivement, au fil des pages, la vibrante essence du Printemps berbère. C’est pourquoi, France Algérie Actualité a fait le choix de consacrer la rubrique Livresque de son quatrième numéro à la présentation, non pas d’un seul livre, mais de cinq ouvrages. Bien que restant subjectif, cet assortiment vise à orienter le lecteur, particulièrement le moins averti sur le sujet, vers des travaux sérieux et complémentaires, permettant de comprendre les tenants et les aboutissants des événements majeurs qui ont engendré la renaissance de la revendication identitaire et culturelle berbère au lendemain des indépendances des pays d’Afrique du Nord. 

Sélection faite par la rédaction*

1. Berbères Aujourd’hui

Légende de la photo : Salem Chaker, Berbères Aujourd'hui. Kabyles et Berbères : luttes incertaines (réédition, L’Harmattan, 2022).
Légende de la photo : Salem Chaker, Berbères Aujourd’hui. Kabyles et Berbères : luttes incertaines (réédition, L’Harmattan, 2022).

Cet ouvrage actualise un livre qui a connu déjà deux éditions (1989, 1998). Depuis 1999, la situation générale et notamment politique des Berbères et de la langue berbère a connu d’importantes évolutions et plusieurs épisodes de tensions aiguës : officialisation de la langue en Algérie (2002/2016) et au Maroc (2011), mise en place d’un enseignement de la langue dans les deux pays, émergence de nouveaux acteurs berbères (Libye, Tunisie) et multiples épisodes d’affrontements et de répression sévère dans plusieurs régions berbérophones (Kabylie, Mzab, Rif, etc.).

Cette nouvelle édition, après avoir rappelé les données fondamentales, propose un examen critique systématique de ces développements récents. Il conclut à une situation incertaine avec des avancées réelles de la présence berbère dans les champs politique et culturel, mais aussi de véritables incertitudes quant à la pérennité et à l’avenir de l’identité berbère dans un contexte idéologique et politique structurellement hostile. L’Histoire est en train de s’écrire.

2. Histoire de la Grande Kabylie

Légende de la photo : Alain Mahé, Histoire de la Grande Kabylie. XIXe-XXe siècles. Anthropologie historique du lien social dans les communautés villageoises (Éditions Bouchène, 2001).
Légende de la photo : Alain Mahé, Histoire de la Grande Kabylie. XIXe-XXe siècles. Anthropologie historique du lien social dans les communautés villageoises (Éditions Bouchène, 2001).

Ce livre nous permet d’apprécier ce qui dans la Kabylie contemporaine procède d’une Kabylie traditionnelle et ce qui ressort d’une histoire récente, coloniale et post-coloniale. Pour mener ce projet à bien, Alain Mahé a conjugué la démarche de l’anthropologue et celle de l’historien. En tant qu’anthropologue, l’auteur a minutieusement reconstitué une sorte d’épure de l’organisation villageoise dans la situation où elle se trouvait au début de la conquête coloniale, afin de pouvoir ensuite dérouler le fil de l’histoire jusqu’à nos jours et d’apprécier les changements sociaux qui ont affecté les assemblées villageoises.

Ce qui lui a permis de nous montrer comment les institutions politiques traditionnelles et la culture politique qui en était solidaire avaient pu se transformer et se féconder au contact de la culture politique moderne acquise par les Kabyles au sein des mouvements syndicaux et politiques auxquels ils ont tant donné, aussi bien dans l’immigration en France qu’en Algérie même dans le cadre du mouvement nationaliste. La question est maintenant de savoir quelle place cette culture politique, les valeurs qu’elle promeut, et les institutions où elles se pratiquent, auront dans l’Algérie de demain.

3. Chronologie du mouvement berbère

Légende de la photo : Ali Guenoun, Chronologie du mouvement berbère. Un combat et des hommes (Casbah Éditions,1999).
Légende de la photo : Ali Guenoun, Chronologie du mouvement berbère. Un combat et des hommes (Casbah Éditions,1999).

Flanqué d’un magnétophone et de quelques cassettes vierges, sans support matériel ni financier d’aucune institution, l’auteur sillonne l’Algérie à la recherche de témoignages. Il rencontre et enregistre de nombreux acteurs du mouvement national que l’humilité, l’oubli ou la retenue ont poussé à s’abstraire ou à taire des pans entiers de leur vie militante.

On avait tout fait pendant des décennies pour contourner sinon effacer de la mémoire une dimension irréductible du fait culturel algérien. Mais de l’autre côté, si l’on peut dire, la scène n’était pas non plus dépourvue de préjugés, de non-dit et de positions partisanes. Beaucoup d’acteurs des « crises » du passé étaient érigés en autant de héros de causes très actuelles. Comme si l’histoire était une généalogie dont le souci principal était d’aller à la recherche des origines, de réhabiliter des figures déchues et d’instituer des pères fondateurs.

Cette ébauche de chronologie du mouvement berbère vient combler un vide. Elle se veut une première contribution à l’établissement des faits relevant de ce que l’on appelle communément le mouvement berbère ou le berbérisme en Algérie.        

4. Avril 80

Légende de la photo : Arezki Aït-Larbi (dir.), Avril 80 : Insurgés et officiels du pouvoir racontent le « Printemps berbère » (Koukou Éditions, 2023).
Légende de la photo : Arezki Aït-Larbi (dir.), Avril 80 : Insurgés et officiels du pouvoir racontent le « Printemps berbère » (Koukou Éditions, 2023).

Pour la première fois réunis dans un même ouvrage, des insurgés d’Avril 1980 et des officiels algériens, qui étaient aux premières lignes de défense du pouvoir, racontent le « Printemps berbère ». Ils s’étaient affrontés avec conviction, parfois violemment ; ils en parlent avec sérénité, sans haine. À des degrés divers, ils ont accepté de se découvrir sans fard, et pour certains, de livrer leur intimité profonde, n’occultant ni leurs angoisses, ni leurs doutes, ni leurs faiblesses. L’ambition de ce livre n’est pas d’écrire l’histoire d’un mouvement qui a imposé un irréversible point d’inflexion à un régime autiste. Mais de fixer quelques repères de l’insurrection citoyenne, à travers les histoires multiples, profondément humaines et dans une subjectivité assumée, de quelques acteurs de premier plan. Avec le souci, pour le uns, de rendre compte de cette extraordinaire communion dans la quête d’un même idéal : la liberté. Et pour les autres, d’exprimer le soulagement d’avoir limité les dégâts.

Malgré une stratégie singulière qui avait répudié la violence, le pari des insurgés d’Avril 80 était bien périlleux. Face à un pouvoir dopé à l’intolérance d’une idéologie hybride, le « socialisme arabo-islamique », qui ne faisait pas dans le détail, la contestation risquait de s’écraser contre un cocktail morbide d’autoritarisme soviétique et de despotisme oriental. Trente ans après le sursaut de ce Printemps au parfum de gaz lacrymogènes, le bilan de luttes perverties laisse une étrange sensation d’acte manqué. Pris entre les mâchoires d’une même tenaille durant la terreur des années 1990, l’espoir réinventé sera tragiquement enterré par la sanglante provocation du « Printemps noir » de 2001. Ses 126 morts, sacrifiés par la conjonction de la bêtise et de la haine, finiront dans les statistiques de la « tragédie nationale », au nom d’une « réconciliation » frelatée. Dans une intolérable impunité. De locomotive démocratique qui rêvait d’entrainer le pays dans sa palpitante aventure, la Kabylie, livrée au désordre de la délinquance, au racket du « terrorisme résiduel » et à la rapine des nouvelles féodalités locales, est réduite au rôle peu glorieux d’instrument dans les jeux du sérail. Nous sommes donc revenus à la case départ, dans un environnement encore plus hostile. Par ces temps d’impasse politique, de régression sociale et d’incertitudes sur l’avenir, l’esprit du « Printemps berbère » mérite d’être revisité. Dans notre histoire tourmentée, c’est une étape salutaire de ressourcement.

5. Kateb Yacine et Debza au cœur du Printemps berbère

Légende de la photo : Farida Ait Ferroukh, Kateb Yacine et Debza au cœur du Printemps berbère (Koukou Éditions, 2023).
Légende de la photo : Farida Ait Ferroukh, Kateb Yacine et Debza au cœur du Printemps berbère (Koukou Éditions, 2023).

À travers la troupe Debza et son parrain Kateb Yacine, l’auteure revisite la face méconnue du Printemps berbère dans ses prolongements algérois. Engagés dans les comités universitaires autonomes avant d’investir les planches par le chant et le théâtre, les comédiateurs-amateurs étaient en première ligne dans la lutte pour une Algérie démocratique, et la réhabilitation de son identité plurielle.

« Langues au poing », Kateb Yacine et « ses » jeunes ont jeté des passerelles entre les communautés, que les manipulateurs de l’ombre tentent encore de dresser les uns contre les autres pour neutraliser leur quête commune d’émancipation citoyenne.

Ce travail de recherche au long cours, basé sur des témoignages inédits, révèle les luttes des années 1980 face au régime du parti unique. À l’unité de pensée des patriotes à gages, les contestataires ont opposé la mobilisation dans la diversité des convictions ; aux slogans des courtisans, la lucidité des débats contradictoires, parfois virulents mais toujours solidaires face à l’adversité.

Une époque révolue ? Non, plutôt les prémices d’une longue marche vers un nouveau printemps, qui, quatre décennies plus tard, peine à éclore. Au moment où une chape de plomb autoritaire paralyse le pays et étouffe les aspirations de la jeunesse, l’esprit de Kateb Yacine appelle à redéployer l’étendard de la résistance et de la liberté. C’est la seule voie pour gagner « la guerre de 2000 ans ».

* Les textes de présentation des ouvrages sont écrits par les éditeurs.

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