Guerre d’Algérie : « Une lettre pour Ambre », un film à produire !

La romancière franco-algérienne Nina Koriz
Cette œuvre devait être marquée par la dernière apparition au cinéma de Guy Bedos, interprétant le rôle d'un Algérien. La romancière et comédienne franco-algérienne Nina Koriz nous présente le projet « Une lettre pour Ambre », un film sur la colonisation et la Guerre d’Algérie inspiré de son roman Des femmes de cœur (Éditions Zyriab, 2013).

« Une lettre pour Ambre » raconte les liens entre la France et l’Algérie d’une façon originale, à travers l’histoire personnelle d’une jeune française à la recherche de son origine et de son identité. Sur le passé douloureux qui lie éternellement les deux pays, la trame du scénario nous offre une vision très féminine et volontairement anti-manichéenne. Narrer la petite histoire personnelle d’Ambre est, évidemment, un prétexte pour raconter la grande Histoire, celle de la colonisation ; ses injustices, ses drames, ses complexités, ses contradictions et ses conséquences à court et à long termes. « J’ai voulu écrire sur la réalité de la colonisation française en Algérie, en réaction aux clichés véhiculés par la propagande de l’époque qui perdure aujourd’hui encore en partie », explique la romancière. En évoquant ce qui la motive dans l’écriture et sa volonté de transformer son œuvre en film, Nina préfère parler plutôt d’« un besoin, une nécessité. C’est le silence imposé à ceux et celles qui ont été les acteurs, les témoins ou les victimes de cette occupation que je conjure en les réunissant dans une même fiction, appuyée sur des faits historiques avérés et en leur donnant voix ».

Dénoncer la propagande coloniale et postcoloniale

L’adaptation est faite par l’autrice elle-même. Ce qui fait que le script reste très fidèle au roman. Il retrace l’histoire familiale d’Ambre en Algérie et en France, tout en nous offrant des allers-retours permanents entre différentes époques qui ont marqué les deux rives de la Méditerranée. Et ce, à travers des flash-back, sans forcément ordre chronologique, qui mêlent intrigues et tension dramatique, peignant progressivement les profils des personnages principaux du récit. Celui-ci, bien que très visuel, tient surtout sa force d’un style fluide et épuré, « sans recherche de fioritures inutiles » comme l’écrivait dans une note de lecture du roman Christiane Chaulet-Achour, enseignante-universitaire spécialiste des littératures francophones des périodes coloniales et postcoloniales.

Sur le fond, la scénariste ne se fait pas prier pour pitcher son film en projet : « La désinformation orchestrée par la propagande coloniale prônant le rôle positif de la colonisation perdure encore, 60 ans après l’indépendance de l’Algérie. Elle occulte le code de l’indigénat, autrement dit le code de l’esclavage, qui donnait au colonisateur toute latitude pour exercer ses abus de pouvoir en toute légalité. Par exemple, qui dit aujourd’hui que les écoles, les hôpitaux et autres infrastructures, construits par les masses des ‘‘indigènes’’ à moindre coût, l’ont été au seul bénéfice des Algériens d’origine européenne ? Ce sont ces réalités méconnues que je déroule à travers l’histoire d’une journaliste qui, en 2017, alors qu’elle se met en quête de l’identité de son père biologique, va se retrouver plongée dans les années de l’Algérie coloniale. On ressentira avec elle les blessures béantes pour lesquelles excuses et repentance ne peuvent rien, mais qui ont besoin d’être reconnues. Regarder et admettre les faits, quels qu’ils aient été et briser enfin ce silence meurtrier. C’est à mon sens, la voie de l’apaisement et celle de la perspective d’une page qui peut se tourner ».

Rôle des femmes dans la Guerre d’Algérie

Alors que la colonisation est, à raison, bien identifiée comme l’origine du mal, l’écrivaine interpelle notre conscience et nous pousse à réfléchir, parfois contre nous-même, poussés dans nos retranchements intellectuels et idéologiques, pourtant souvent bien barricadés dans un tas de convictions, d’idées tranchées et beaucoup de chauvinisme, pour ne pas dire « nationalisme » terme aujourd’hui écartelé entre le sens noble du terme, synonyme de patriotisme, et ce qu’il est devenu, synonyme de fanatisme et de xénophobie. Et pour cause, que ce soit en Algérie ou en France, on aime caser les gens selon les histoires et les choix de leurs parents, desquels ils ne sont aucunement responsables : famille de moudjahidine ou de harkis, dans le premier cas, famille de résistants et de collabos, dans le second cas. Or, « Une lettre pour Ambre » est un appel à sortir de cette vision manichéenne restreinte et restreignante. « Pour avoir recueilli, durant de nombreuses années, la parole de ceux et celles qui ont vécu la période coloniale, je sais que, comme dans toute tragédie humaine, la vérité ou les vérités se situent dans les nuances, les complexités, les zones d’ombre et de lumière », estime-t-elle. Sans vouloir spolier le livre, pour ceux qui ne l’ont encore pas lu, et le futur film, l’ascendance d’Ambre elle-même se veut comme une démonstration que ce manichéisme systématique altère notre perception de l’histoire, en l’occurrence ici celle de la lutte anticoloniale. Elle découvre par hasard ses origines algériennes dans toute leur complexité : née d’un père algérien, membre du FLN mais fils d’un harki, et d’une mère pied-noire, fille d’un colon raciste mais elle-même militante indépendantiste qui a épousé la cause algérienne.  

En essayant de comprendre qui elle est vraiment, Ambre construit une conception à la fois rationnelle et pleine d’émotions de la complexité des relations franco-algériennes, forgées d’abord dans le sang et les larmes de la colonisation, remodelées ensuite par l’immigration postcoloniale. À ce niveau, on soupçonne chez Nina Koriz, née elle-même d’un père algérien, des incrustations autobiographiques, qui se situent selon son propre aveu seulement dans « les postures et les convictions profondes de mes personnages, en particulier Béatrice et Sirine. Si les situations, et les personnages sont fictifs, les faits historiques sont respectés ».

La comédienne engagée a, par ailleurs, opté dès le début pour un parti pris en faveur de la narration de l’histoire par le prisme des femmes. Elle assène : « Ce sont la ‘‘ moitié oubliée du peuple algérien’’, comme l’a si bien dit Djamila Amrane, sans laquelle la libération eut été difficile à atteindre. Elles ont été renvoyées à la cuisine une fois la libération acquise ! Arabes, berbères et juives, elles ont été agents de liaison, elles ont transporté des armes et de l’argent, elles se sont occupées à diffuser l’information, elles ont caché des résistants, elles ont été torturées, violées et assassinées. Quid de celles qui se sont élevées contre le système colonial français depuis l’Europe et dont on ne parle jamais ? Les sortir de cette amnésie, leur rendre leur place était donc légitime. Néanmoins, il y a autant d’hommes que de femmes dans mon récit ». Une incarnation de l’égalité et de la parité !

Guy Bedos l’Algérien

À ce propos, un homme en particulier joue le fil conducteur dans cette fiction, liant le passé et le présent, celui de Tikinas, qui devait être interprété par feu Guy Bedos. Ce dernier, que nous avons rencontré le temps d’une interviewé en 2018, tenait énormément à ce projet et nous disait sa fierté de pouvoir jouer un Algérien, ce qu’il affirmait être, lui le natif d’Alger. « Guy était très enthousiaste à la perspective de jouer le rôle de Tikinas, un sage algérien qui accompagne Ambre dans sa quête. Il avait lu le roman, qui l’a beaucoup ému, et lorsque je lui ai dit que j’en avais fait une adaptation, il m’a demandé le script. Je l’ai informé que j’avais imaginé Tikinas en pensant à Omar Sharif. Et puis de fil en aiguille, l’idée qu’il puisse l’interpréter s’est imposée et j’ai dû étoffer son personnage et le modifier quelque peu à sa demande. Nous avons ensuite fait plusieurs lectures. Il m’appelait très souvent car ce film représentait bien plus qu’un rôle pour lui et il était impatient de s’y investir. Nous avons passé une semaine à Alger où il m’a raconté des histoires et exprimé des émotions qu’il pensait avoir oublié et qui ont ressurgi avec ce projet. Malheureusement le temps de la production d’un film n’est pas forcément celui de la destinée d’un homme et la vie n’a pas permis que son rêve se concrétise », regrette la romancière.

Avec sa disparition, le cinéma et la comédie française ont perdu un pan de leur histoire, et Nina un grand soutien : « C’était un être que j’admirais et estimais depuis longtemps, même avant de le rencontrer. Donc, en hommage à Guy Bedos et à tous ceux qui, inlassablement comme lui, se sont dressés contre le racisme, les atteintes aux droits humains et les crimes contre l’humanité, je souhaite trouver les moyens financiers nécessaires à la concrétisation de ce projet ». Dans ce sillage, un dossier de demande de financement a été, d’ailleurs, déposé auprès du ministère des Moudjahidines à Alger, en 2019, dont la commission de lecture avait donné son approbation, à l’unanimité, et devait allouer un budget au projet. Entre temps, le Hirak et le Covid-19 ont tout remis aux calendes grecques.

Du côté des producteurs français, notre interlocutrice constate : « Comme disait Jérôme Lindon à propos des éditeurs prêts à publier des œuvres témoignant de la réalité algérienne, durant les années cinquante, qu’on pourrait les compter sur les doigts d’une seule main. La guerre est pourtant terminée depuis 60 ans ! Jérôme Lindon, Nils Anderson, Henri Curiel, François Maspero, Francis Janson, et d’autres braves, étaient des hommes pour qui le devoir de vérité et la dignité primaient sur le risque de représailles personnelles ou professionnelles. Ils sont une leçon de courage, d’humanisme et de grandeur d’âme. Où sont leurs semblables aujourd’hui ? ». Et de conclure qu’elle continuera à se battre jusqu’ce que « Une lettre pour Ambre » devienne une réalité car ce film « s’inscrit dans une démarche d’information, d’apaisement et de réconciliation des mémoires entre la France et l’Algérie. C’est un récit fait d’enchevêtrement d’histoires humaines, fertile en rebondissements et en émotions, qui le met à la portée de chacun. C’est cet aspect humain et humaniste qui avait suscité l’intérêt et l’engagement de l’infatigable militant pour les droits de l’homme qu’était Guy Bedos ».

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