Nous avons eu l’opportunité de visionner le film « La Couleur dans les mains », la dernière création de la romancière et cinéaste franco-algérienne Nora Hamdi. L’histoire dépeint la quête d’authenticité d’une jeune artiste algérienne dans la France d’aujourd’hui, avec en toile de fond la décennie noire en Algérie. Il s’agit d’un film sensible explorant les thèmes de la diversité et de l’identité.
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Pour l’artiste peintre, écrivaine et cinéaste Nora Hamdi, son nouveau film La Couleur dans les mains, sorti le 8 mai 2024, est loin d’être un coup d’essai. La native d’Argenteuil, dans la banlieue nord-ouest de Paris, a publié cinq romans, dont deux ont été déjà adaptés par ses soins au cinéma : Des poupées et des anges (Au Diable Vauvert, 2004) et La Maquisarde (Grasset, 2014). Sa nouvelle réalisation est une adaptation de son livre La Couleur dans les mains (Léo Scheer, 2011), dont l’histoire est largement autobiographique, s’inspirant de sa vie de jeune artiste française née de parents algériens. Et nous avons eu le grand privilège de voir son film en avant-première.
La réalisatrice y revient sur ses jeunes années, alors qu’elle a vingt ans et qu’elle part de la banlieue pour Paris, pleine d’illusions et d’ambitions pour se lancer dans le monde complexe et sans pitié de l’art. Dans ce long métrage, elle transpose son roman à une situation plus proche d’aujourd’hui, en puisant l’essentiel de son fil narratif dans la période où l’Algérie dans les années 1990 avait sombré dans le terrorisme. L’idée est bien menée et le spectateur suit le déroulé du récit sans jamais décrocher, sans aucun ennui, pour enfin être surpris dans les dernières minutes. Là, il comprend avec une émotion, qui rejoint celle de la réalisatrice, le sens de cette « couleur dans les mains » que porte Yasmine, le personnage central du film et alter ego de la cinéaste, interprété avec justesse et sensibilité par l’actrice Kenza Moumou. L’intrigue est porteuse : pour se loger à Paris, la jeune peintre Yasmine doit changer d’identité. Ce choc la renvoie à la vie cachée de ses parents, morts à sa naissance, en Algérie. Depuis elle a été recueillie par son oncle, qui ne lui a pas dit toute la vérité. En quête de son histoire personnelle, à travers sa vie d’artiste, Yasmine va trouver la lumière en découvrant le secret qu’elle porte et qui transparaît dans ses œuvres. Des peintures, qui du reste sont les propres tableaux de la réalisatrice.
Le trauma des années du terrorisme en Algérie
Nora Hamdi s’est inspirée des difficultés qu’elle avait rencontrées elle-même en s’installant à Paris, dont le racisme n’est pas la moindre. Cette « transplantation » de l’artiste en devenir coïncidait avec la période du terrorisme en Algérie. Une époque où certains en France amalgamaient trop aisément algérianité et islamisme. Hamdi se souvient : « J’en avais assez d’entendre que tous les arabes sont des terroristes, alors que les premières victimes du terrorisme sont les musulmans, il ne faut pas oublier que l’Algérie a été victime du terrorisme avant la France. Je me suis inspirée d’une période marquante lorsque mes parents étaient présents lors de l’attaque terroriste islamiste à la bombe perpétrée à l’aéroport d’Alger – Houari-Boumédiène le 26 août 1992, ils étaient sur le parking sous les débris, ils ont échappé de près à la mort, c’était l’époque où je commençais la peinture. Puis, pendant la décennie noire, on suivait et vivait les événements depuis la France avec une partie de notre famille qui vivait en Algérie, c’était une période affreuse, avec tous les gens qui étaient tués. Avec le recul, j’ai eu l’idée de créer l’histoire familiale de Yasmine qui hérite de ce drame, je commençais la peinture à cette période du terrorisme ».
Double identité et double souffrance
Ce volet algérien de l’histoire est la trame en off du film, qui sous-tend la réalité française des idées reçues et des exclusions. À ce sujet, Hamdi souligne que c’est son troisième film sur l’identité et la tolérance. Dans son premier film Des poupées et des anges (2008), elle abordait déjà la diversité avec deux adolescentes, cherchant leurs places de femmes dans la banlieue, entre tradition et modernité. Avec le deuxième film La Maquisarde (2020), elle mettait en lumière le rôle des femmes dans la guerre d’Algérie. Pour la romancière et réalisatrice qui porte haut et ressent ses racines algériennes, confrontées à la réalité de son existence en France, il s’agit avec La couleur dans les mains de continuer avec cette histoire de double regard, double identité et double souffrance. Dans un film lent comme l’est la pesanteur des difficultés à se situer dans un monde qui semble rejeter Yasmine, la réalisatrice raconte l’éclosion de cette jeune artiste en quête de création artistique et d’identité. Une artiste à la recherche de son origine cachée, et d’elle-même. Elle doit se faire une place dans le monde de l’art, mais aussi chez ses parents adoptifs qui refusent de tout lui dire. L’héroïne est mal à l’aise face aux douleurs tues de la décennie noire, dont elle n’a vu que images d’horreur, un temps tellement traumatisant alors que le silence pesant seul lui répond, jusqu’au moment où une révélation la libère de l’inconnu du passé.
Autant que se libérer du trauma du terrorisme en Algérie, Hamdi cherche à travers ce film à mettre en miroir l’accent sur les maux de la société vis-à-vis d’une jeunesse française dont les parents viennent d’ailleurs. Elle s’exprime à ce sujet : « À l’heure où les mots ‘‘division’’ et ‘‘sectarisme’’ riment avec banalité, où même l’expression ‘‘vivre-ensemble’’ semble fantasmée, où cet autre est perçu comme source de tous les maux, il est nécessaire de montrer la fragilité et la stupidité de ces petites boîtes dont tout un chacun se délecte à y ranger son voisin. Ce film est aussi un hymne à l’amour, à la tolérance et à la compréhension de l’autre, il est important de se regarder face à face dans l’acceptation afin de ne plus considérer le mot différence comme un anathème mais comme un enrichissement de soi, une ode à la vie et à un futur qui nous en sommes sûr, ne sera que meilleur, car issu des erreurs du passé. Ce film, j’espère sera à contrecourant des images et des pensées prédéfinies, qui nous plongent dans un grand tourbillon artistique et culturel ». Et d’ailleurs, estime-t-elle, il s’agit aussi de « montrer à travers mon film, cette autre France ouverte et non raciste qui existe et qui n’est pas assez mise en valeur, une France que je vois au quotidien et qui mérite de reprendre sa place ».
Regarder l’autre tel qu’il est et ne pas le transformer à sa guise est une autre idée forte du film. Nora Hamdi se souvient de ses jeunes années : « À ma vingtaine, dans ma petite carrière de six ans dans la peinture, mon père était venu pour la première fois dans mon dernier atelier pour faire des travaux. Il avait longuement regardé mes tableaux en silence, puis en rentrant chez lui, il a dit à certains de mes frères et sœurs que j’avais de l’or dans les mains. Il pensait que j’allais être riche. Mais j’étais flattée, car je savais que sa pudeur l’empêchait de dire les compliments en face, c’était sa façon d’exprimer ses sentiments et de rappeler que j’avais hérité du dessin grâce à lui. Il était chef d’équipe en charpenterie, il avait fait l’école des Compagnons du Devoir et du Tour de France pour travailler sur les monuments de France, et quand j’étais petite je l’imitais lorsqu’il dessinait des plans. Puis en grandissant, il m’a toujours vue dessiner jusqu’à mon école d’art. En repensant à lui quand j’ai écrit le livre en 2011, j’ai remplacé le mot ‘‘or’’ par ‘‘couleur’’ ce qui a donné, La couleur dans les mains ».
Changer de nom pour être accepté ?
L’un des moments les plus émouvants du film est celui où Yasmine doit changer son nom sur la boîte aux lettres. La réalisatrice se rappelle son expérience personnelle : « Lorsque je suis arrivée à Paris, la femme, agent immobilier qui m’a proposé ce studio avec cette condition de changement de nom, elle élevait ses deux enfants toute seule et connaissait le problème de la discrimination car elle le subissait en tant que femme indépendante. Elle m’avait fait comprendre lors de notre rencontre que parfois, on était obligé, si on voulait être indépendante, de contourner les poncifs pour mieux imposer nos idées par la suite ».
Hamdi trouvait donc intéressant de faire le parallèle avec cette forme de xénophobie que subit Yasmine contre ses origines, voulant chasser son nom typé arabe : « Elle est victime des préjugés alors que c’est la première victime en tant que musulmane du terrorisme en tant que femme, musulmane et libre. C’est devenu très politisé, on traite les problèmes d’identité à des fins politiques. L’ayant vécu dans les années 1990 quand je suis arrivée étudiante à Paris, je trouvais ça triste, mais comme dans ma vie, j’étais déjà confrontée au racisme quotidien avec mes origines ethniques et sociales, je devais me battre avec ça. Dans la vie, ce sont les autres qui me rappelaient mon profil différent dans les milieux où j’évoluais. Puis quand j’ai fait le casting du film, la jeune actrice Kenza Moumou m’a parlé de la problématique du nom, j’ai compris qu’il lui était arrivé la même chose de ce qui m’était arrivé en arrivant à Paris et là, j’ai réalisé que ce sujet était toujours d’actualité ».
Nora montre son héroïne Yasmine face au préjugés, lui prêtant des intentions artistiques liées à sa religion alors qu’il n’y en a aucune : « en France pourtant on ne va pas enfermer une personne qui a reçu une éducation religieuse chrétienne en disant : ‘‘vous faites de l’art, ce n’est pas catholique !’’ mais comme elle est d’éducation musulmane avec son physique typé arabe, on va dire : ‘‘vous faites de l’art, c’est un problème avec votre religion’’. On la renvoie tout le temps à ces problématiques ». Et elle ajoute que c’est d’autant plus choquant que depuis des siècles, l’art a toujours existé dans le monde arabo-musulman. D’ailleurs, Yasmine s’autorise à pénétrer ce monde où elle n’est pas la bienvenue. Elle insiste, au prix d’une dépression dont elle se relève, « elle transgresse, elle va dans ce milieu et elle ne demande pas l’autorisation, elle est artiste ».
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