« Les entreprises françaises sont intéressées par le marché algérien à condition d’avoir des garanties » (Luis Martinez, chercheur)

Luis Martinez 2024

Luis Martinez est politologue et directeur de recherche au CERI-Sciences Po Paris. Spécialiste du monde arabe, il s’est fait connaître durant cette dernière décennie par ses analyses pertinentes sur les paysages politique et économique algériens. Il propose des lectures qui se veulent purement factuelles et académiques. Il a publié moult articles et ouvrages sur l’Algérie. On peut citer, entre autres, Algérie : les illusions de la richesse pétrolière (2010), Violence de la rente pétrolière (2012) et L’Afrique du Nord après les révoltes arabes (Presses de Sciences Po, 2019). Dans cet entretien orienté volontairement sur les relations franco-algériennes dans leur aspect économique, il fait un état des lieux et propose une perspective d’avenir de la coopération entre l’Algérie et la France, dont les leviers en dehors des hydrocarbures sont jusqu’ici sous-exploités selon lui.

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Propos recueillis Par Samir Ghezlaoui

Comment jugez-vous le partenariat économique entre la France et l’Algérie durant la dernière décennie ?

Quand on analyse les relations franco-algériennes d’un point de vue économique sur les dix dernières années, on a le chaud et le froid. Autant durant la présidence de Nicolas Sarkozy, elles n’étaient clairement pas bonnes, l’arrivée de François Hollande à l’Élysée, en 2012, les a bien réchauffées. Il est parti en Algérie avec une bonne délégation d’entreprises. À l’époque, on s’est dit qu’il y aurait une sorte d’embellie permettant aux deux pays de récupérer les années perdues. Et on peut dire qu’il y a eu effectivement une certaine satisfaction pendant les deux premières années. Par exemple, on a reconduit les contrats de la gestion du métro d’Alger et ceux de nombreux partenariats d’entreprises françaises du CAC 40.

Toutefois, à partir de 2015, il y a eu un nouveau flottement dans les échanges car ça ne suivait plus du côté algérien. L’Algérie, comme d’autres pays rentiers, a souffert de la chute des prix des hydrocarbures cette année-là. Le gouvernement a donc réduit ses dépenses et fait de nouvelles lois pour réduire le déficit de l’Etat. Le contrôle du secteur de l’importation a été singulièrement renforcé et les importations ont été drastiquement diminuées. Ce qui a réduit, entre autres, les marges des exportateurs français. Progressivement, la politique économique algérienne a changé pour marquer un tournant important à partir de 2017, au moment de l’élection d’Emmanuel Macron, avec un rapprochement assumé des pays émergents, dont les produits et les services offrent un rapport qualité/prix plus compétitifs comme la Chine et la Turquie.

Quelle a été alors la stratégie du président Macron pour s’adapter à cette nouvelle donne ?

Dès son arrivée à l’Élysée, Macron a défendu la nécessité de renforcer plus globalement les liens amicaux avec l’Algérie car il pensait que cela influencerait positivement les relations économiques avec ce pays. Cependant, je pense qu’il est parti sur des chemins trop tortillés : l’histoire et la mémoire. C’était un choix contreproductif à mon sens. Dans la mesure où il ne pouvait pas allez jusqu’au bout pour régler ces questions définitivement, il a juste relancé les vieux contentieux entre Paris et Alger liés à la colonisation. Cela a fini par contribuer au blocage de la coopération économique.

Puis, le Hirak de février 2019 n’a pas arrangé les choses pour la bonne entente entre les deux pays. Les Algériens soupçonnait les Français de soutenir ce mouvement populaire car ses acteurs ont eu largement accès aux médias publics français. Des accusations d’ingérences ont été même émises à maintes reprises. Xavier Driencourt, alors ambassadeur de France en Algérie, agaçait particulièrement les autorités algériennes, surtout après l’élection d’Abdelmadjid Tebboune en décembre 2019. Elles ont demandé sèchement son départ, en considérant qu’il avait dépassé ses prérogatives de diplomate pour faire de la politique politicienne. Il quitta Alger en septembre 2020.

Durant toute l’année 2020, Alger a fait des choix et pris des décisions économiques paraissant pour les observateurs avertis comme des actions de rétorsion contre Paris, à commencer par réduire considérablement les importations françaises, y compris le blé alors que la France était le premier fournisseur du pays depuis l’indépendance. Depuis, ça été la dégringolade jusqu’à aujourd’hui. On a cru que le voyage de Macron en Algérie, au mois d’août 2022, allait relancer les choses mais, finalement, cela n’a pas donné grand-chose. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé car son voyage a été suivi de celui de la Première ministre, Élisabeth Borne, avec une délégation gouvernementale importante. Tout ça a ouvert des perspectives mais on n’en a pas vu la traduction.

Alger aurait pris des mesures économiques de rétorsion contre Paris en 2020, dont la réduction drastique des importations de blé français. Effectivement, durant la campagne 2020/2021, les exportations de la France, fournisseur historique de l’Algérie en blé, ont chuté d’environ 36 % pour le blé tendre et 60 % pour le blé dur.
Alger aurait pris des mesures économiques de rétorsion contre Paris en 2020, dont la réduction drastique des importations de blé français. Effectivement, durant la campagne 2020/2021, les exportations de la France, fournisseur historique de l’Algérie en blé, ont chuté d’environ 36 % pour le blé tendre et 60 % pour le blé dur (©D.R.).

 

Est-ce que les choses ont changé ces quelques derniers mois ?

Certaines sources parlent d’un début de réchauffement, depuis l’été dernier, mais cela paraît très lent. Par exemple, la chambre du commerce et de l’industrie franco- algérienne de Paris a indiqué que l’Algérie a changé son code d’importation. Ce qui ouvre des opportunités d’investissement pour les entreprises françaises. On espère que l’année 2024 sera marquée par un réel relancement de la coopération économique, singulièrement en dehors des hydrocarbures. Qu’on ne se tromper pas non plus. Quand on voit les chiffres des échanges, la France reste un partenaire très important pour l’Algérie. Elle demeure son deuxième fournisseur après la Chine. Le volume des investissements français dans le pays est de 2,5 milliards d’euros.

D’ailleurs, l’Algérie veut que la France, ainsi que les autres pays, investissent plus, dans les secteurs hors hydrocarbures. Il y a une vraie volonté de diversification économique. En 2023, la croissance dans ces domaines est, pour la première fois depuis 1962, plus importante que la croissance enregistrée dans les hydrocarbures. C’est encourageant, mais il faut qu’elle se consolide.

Du côté français, il y a une réelle volonté de se repositionner. Toutefois, il y a toujours des blocages diplomatiques. La preuve, c’est que le voyage de Tebboune a été reporté deux fois ! Ce n’est pas rien pour une visite d’Etat, voire c’est une situation très rare. Pour l’instant, on ne sait pas quand cela va se faire, d’autant plus que l’Algérie entre dans une année électorale, avec la présidentielle 2024. Par ailleurs, en France, il y a une politisation accrue et systématique des relations franco-algériennes par la droite et l’extrême-droite. Ces derniers mois, beaucoup de personnalités politiques, jusque dans le camp du président Macron à l’image de son ancien Premier ministre, Édouard Philippe, ont demandé la dénonciation de l’accord de 1968. C’est une approche malsaine qui nuit aux relations bilatérales car elle les place dans le débat sur l’immigration, très clivant en France.

L’Algérie exige désormais aux grandes entreprises internationales d’investir dans le pays comme une condition sine qua non pour accéder au marché algérien. De quelle manière cette règle est-elle perçue par les investisseurs français ?

De toute façon, les entreprises françaises sont toujours intéressées par le marché algérien et elles aimeraient y faire d’importants investissements. Mais pour cela, elles ont besoin de garanties et d’assurances pour leur pérennité. Ce qui est compréhensible. Or, il faut le dire franchement, l’environnement des affaires en Algérie a encore besoin de profondes réformes, malgré les efforts déjà fournis dans ce sens par les autorités. Il s’agit notamment de mettre aux normes internationales le code des investissements, le système bancaire, les contrats de coopération entre entreprises, la culture d’échanges avec les porteurs d’investissements étrangers, etc. L’Algérie est habituée, de par son économie basée sur la rente pétrolière, à croire qu’elle peut tout se permettre en pensant que les investisseurs l’accepteront quand même. Ce n’est plus le cas depuis quelques décennies déjà. Une telle croyance est complètement fausse car les IDE (investissements directs étrangers, ndlr) vont dans les pays qui offrent plus d’avantages, avec des marchés performants, stables et rentables. Dans le monde arabe, l’exemple est donné par l’Égypte, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar. Les grands investisseurs ont besoin de stabilité économique, juridique et financière.

Il y a donc un grand travail à faire par les Algériens et j’espère vraiment que cette fois-ci sera la bonne. Et pour cause, on avait déjà dit ça avec l’arrivée au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika, en 1999. Il a exprimé sa volonté de réformer profondément le système économique algérien, promettant de le libéraliser, de l’ouvrir et de le moderniser. Malheureusement, en 20 ans de pouvoir, il n’a pas fait grand-chose. L’Algérie est vite retombée dans le piège de l’économie rentière : vendre le gaz et le pétrole, et redistribuer les recettes pour acheter la paix sociale, sans s’occuper vraiment de régler les problèmes structurels. Il faut espérer qu’avec les nouvelles décisions du président Tebboune, l’Algérie mette en place une stratégie globale et radicale de réformes économiques. Les grands atouts du pays sont évidents, il faut juste assurer des conditions attrayantes dans les différents secteurs pour les investisseurs étrangers. Sinon, ils iront seulement là où ça leur rapporte, c’est-à-dire les hydrocarbures. Ce n’est pas ça qui doit intéresser l’économie algérienne d’aujourd’hui, mais plutôt la santé, les biens industriels, les biens d’équipements, l’agriculture, les services, le tourisme, etc.

Elisabeth Borne, ancienne Première ministre française, à la réunion du Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN) d’octobre 2022, à Alger, où elle était arrivée avec une délégation de 16 ministres et plusieurs chefs d’entreprises.
Elisabeth Borne, ancienne Première ministre française, à la réunion du Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN) d’octobre 2022, à Alger, où elle était arrivée avec une délégation de 16 ministres et plusieurs chefs d’entreprises (09/10/2022, ©AFP).

 

En parlant des hydrocarbures, comment la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine a-t-elle impacté la coopération entre la France et l’Algérie dans ce domaine ?         

Au final, elle n’a pas eu vraiment un impact significatif. La France continue d’importer du gaz algérien, au même titre que d’autres pays européens. Il faut rappeler également que l’Algérie n’est ni son premier fournisseur, ni le seul. En octobre 2023, TotalEnergies a signé un contrat avec le Qatar pour l’importation du gaz qatari pendant 27 ans, à partir de 2026. Ce qui garantit largement la sécurité énergétique de la France, qui ne veut pas se mettre en situation de dépendance énergétique vis-à-vis d’un seul pays quel qu’il soit et encore moins l’Algérie, avec laquelle les relations sont souvent compliquées. Ceci dit, cela n’empêche pas Total de continuer à investir en Algérie. Si la France ne mise pas exclusivement sur l’Algérie sur le plan énergétique, d’autres pays le font notamment l’Italie, qui a perdu le marché libyen à cause de la guerre civile. Ce pays investit donc massivement en Algérie, non seulement dans les hydrocarbures, mais aussi dans d’autres secteurs importants comme l’automobile.

À supposer que les deux gouvernements règlent les contentieux diplomatiques au profit d’une coopération économique pragmatique, quels sont les domaines attractifs pour des investissements français en Algérie ?

La santé, les services, la culture, l’éducation, l’enseignement supérieur, etc. Par exemple, les investissements français ont créé une vingtaine d’établissements scolaires et installé de nombreuses prestigieuses écoles françaises de commerce au Maroc. Ce qui offre à ce pays voisin de l’Algérie des cadres très bien formés dans tous les domaines et compétitifs à l’international. Cela permet au pays d’être destinataire de relocalisation de plusieurs entreprises occidentales qui quittent notamment l’Asie. En Algérie, on n’a rien de tout ça malheureusement. Mais ce n’est jamais trop tard.

Dans le secteur de l’industrie, notamment l’automobile, l’Algérie pourrait aussi avoir la même chose que le Maroc. Elle attend beaucoup ce genre d’investissements. Il y a également les banques françaises qui peuvent accompagner le secteur bancaire algérien. On peut citer, enfin, le tourisme. La France est l’un des premiers pays touristiques au monde. Elle a une expertise reconnue dans ce domaine en général et dans la valorisation du patrimoine archéologique en particulier. Dans ce cadre, une équipe française s’occupe, par exemple, du site archéologique d’Al-Ula en Arabie Saoudite, depuis 2018. Désormais, il attire des milliers de touristes du monde entier. C’est typiquement ce que la France sait faire, imaginez qu’elle le fasse en Algérie, un pays si grand, si riche historiquement et culturellement, si proche de l’Europe !

Il y a un tas d’autres domaines où les Français peuvent investir et créer des millions d’emplois en Algérie, en boostant l’économie du pays et en l’aidant à produire de la richesse d’une manière diversifiée. Mais cela, encore une fois, est conditionné par la volonté et les choix des Algériens eux-mêmes. L’Algérie aurait pu avoir, aujourd’hui, un PIB (produit intérieur brut, ndlr) équivalent à celui de l’Égypte, c’est-à-dire environ 400 milliards de dollars. Autrement dit, plus que le double du PIB algérien, estimé à un peu plus de 190 milliards de dollars en 2023, en sachant qu’il a été boosté par l’augmentation des prix des hydrocarbures depuis le début de la guerre en Ukraine. De ce fait, l’économie algérienne risque de replonger dès que la valeur du baril baisse, comme nous l’avons déjà vu avec un baril à 40 $ ! Ce n’est pas normal. L’Algérie est un pays indépendant depuis plus de 60 ans et il aurait pu avoir une économie beaucoup plus puissante et largement diversifiée.

Usine Renault à Tanger (Maroc)
Usine de production automobile de 300 hectares à Tanger (Maroc), inaugurée en 2012, détenue à 52,4 % par le groupe français Renault. Le site emploie directement environ 6 300 personnes et produit plus de 250 000 véhicules par an. Un modèle à suivre pour l’Algérie ? (©Renault Group).

 

Cela explique-t-il entièrement l’échec de la candidature de l’Algérie pour une adhésion au bloc des BRICS en août 2023 ?

Une adhésion au groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, ndlr) signifiait pour l’Algérie, sur le plan diplomatique, l’affirmation de son ancrage auprès des pays émergents qui représentent une grande partie du monde. Mais sincèrement, quasiment tous les spécialistes ont dit que le pays avait peu de chance d’adhérer à ce club sélectif car il ne satisfait pas les conditions sur un plan économique. Le PIB de l’Algérie est dérisoire par rapport à ceux des pays formant les BRICS. D’ailleurs, pour l’élargissement, ils ont cherché les pays arabes qui ont les plus importants PIB : l’Arabie Saoudite avec 1000 milliards de dollars, les Émirats arabes unis avec 500 milliards de dollars et l’Égypte avec 400 milliards de dollars.

La conclusion, c’est que les BRICS ne considèrent pas l’Algérie comme un pays émergent. Ils lui ont donc préféré d’autres pays, y compris l’Éthiopie, car ils estiment que ces nouveaux membres présentent de meilleurs potentiels avec, entre autres, un environnement des affaires plus transparent et un engagement étatique sérieux dans des réformes structurelles qui dure depuis plusieurs années. Or, l’économie algérienne est encore fermée et ses lois, régissant notamment l’industrie et le commerce extérieur, font peur aux partenaires étrangers, qu’ils soient occidentaux ou issus des pays des BRICS. D’ailleurs, je mentionne ici une autre erreur des responsables algériens qui ont cru que leurs bonnes relations diplomatiques avec la Russie, la Chine et l’Afrique du Sud, allaient jouer en faveur de l’adhésion de l’Algérie malgré les déficits constatés dans son économie. Il ne faut pas oublier que même pour la Chine et la Russie, l’Algérie n’est pas le partenaire stratégique d’un point de vue économique. Les pays qui peuvent prétendre à cela sont plutôt l’Égypte, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis. L’Algérie reste un allier, un bon partenaire, pour les deux puissances mais ce n’est « stratégique » !

Le gouvernement algérien l’a-t-il compris selon vous en annonçant, par la voix du président Tebboune lui-même, que l’Algérie a tourné la page des BRICS ?

Je l’espère. Il faut prendre la mesure qu’avec son économie actuelle et un PIB aussi bas, l’Algérie ne pourra pas adhérer aux BRICS ou attirer plus d’IDE stratégiques. Sur la prochaine décennie, le pays doit se fixer l’objectif de doubler son PIB, en mettant en place une réforme économique ambitieuse et globale. Sinon, il prend le risque d’être dépassé, d’ici là, par d’autres pays africains et arabes.

Maintenant que cette désillusion est consommée. Pensez-vous que l’Algérie va s’ouvrir économiquement davantage sur les pays occidentaux particulièrement les Etats-Unis et la France ?

C’est vital si l’Algérie veut développer ses secteurs hors-hydrocarbures. Elle doit ouvrir son économie et travailler avec tous les pays qui veulent investir chez elle. C’est une autre illusion de croire que les IDE vont quelque part par « amitié » ! Les investisseurs du monde entier favorisent les marchés qu’ils estiment attractifs, sécurisés et rentables. C’est donc l’Algérie qui doit les convaincre, pas l’inverse. Même s’il est vrai que la diplomatie joue un rôle dans l’économie, elle est loin d’être suffisante pour définir l’attractivité et la compétitivité d’un pays pour les IDE. Ces derniers ont besoin d’avoir une visibilité à long terme. C’est pourquoi, l’Algérie doit renforcer sa réputation. Elle a besoin de réformes importantes et d’un travail de communication colossal sur l’image du pays à l’étranger : lutte contre la corruption, institutions qui rassurent, etc. Ce sont des choses que l’Algérie devait faire il y a 25 ans. Le résultat aurait été palpable de nos jours…

Les représentants des cinq pays fondateurs des BRICS, au sommet de 2023 en Afrique du Sud
Les représentants des cinq pays fondateurs des BRICS+ (Brésil, Russie, Chine, Inde et Afrique du Sud) à l’ouverture du 15e sommet de cette organisation, au cours duquel la demande d’adhésion de l’Algérie a été rejetée. Un mal pour un bien ? (Johannesburg – Afrique du Sud, 22/08/2023, ©Ministère des Affaires étrangères russe).

 

Qu’est-ce qu’il faudrait faire concrètement selon vous, qui connaissez bien le paysage politico-économique algérien ?

Il y a déjà à réformer le code des investissements pour le rendre plus attractif. Faire en sorte qu’on ne dicte pas les conditions d’investissement d’une façon aussi ferme aux investisseurs étrangers. C’est le contraire qu’il faut faire, on doit les inciter à venir. Par exemple, l’Etat s’engage à donner certaines garanties et communique sur les projets d’infrastructures : construire une voie ferrée par-ci, une route par-là, etc. Dans l’économie de marché actuelle, l’Etat construit l’attractivité économique du pays (lois, infrastructures, foncier, eau, électricité, etc.) et laisse la liberté d’action aux opérateurs économiques, évidemment dans le cadre du respect de la loi, pour la production, la distribution, l’importation et l’exportation. La monnaie est un autre sujet très sensible qu’il faut prendre en charge rapidement. Il faut en finir avec le marché parallèle de la devise et mettre en place de véritables structures de change. Le dinar algérien pourrait ainsi avoir une réelle place dans le marché officiel de la devise en tant que monnaie crédible. Cela passera aussi par une libéralisation et une modernisation du système bancaire. Les investisseurs veulent être sûrs de pouvoir rapatrier facilement leurs profits, dans des conditions légales et transparentes, à chaque fois qu’ils le souhaitent.

Je vais aller encore plus loin en disant que les investisseurs s’engagent dans des projets importants et durables lorsque le pays d’accueil garantit à leurs personnels un cadre de vie sociale et familiale qualitatif : écoles, hôpitaux, restaurants, hôtels, etc. C’est l’une des stratégies de plusieurs pays comme l’Égypte, l’Indonésie, la Malaisie, etc. Ils font tout pour séduire les porteurs de projets étrangers à tous les niveaux. Si on ne fait rien de tout ça, même ceux qui sont contraints de travailler en Algérie, notamment dans le secteur des hydrocarbures, n’y vivront jamais. Ils y passent trois à quatre jours par semaine pour le travail et ils rentrent chez eux, en France ou ailleurs. L’économie algérienne y perd à deux fois. Premièrement, on n’envisage pas de développer son activité et investissement à long terme. Deuxièmement, il y a un grand manque à gagner pour la consommation locale (immobilier, commerce, restauration, tourisme, etc.). Ce sont toutes ces conditions qu’il faut satisfaire pour lancer vraiment l’économie algérienne. L’Algérie a les moyens pour le faire. Ça aurait pu, ça aurait dû, être le cas depuis au moins 40 ans. Tous les pays que nous avons cité en exemples n’ont rien de plus que l’Algérie comme potentialités humaines et naturelles, bien au contraire !

Dans ce contexte que vous décrivez, quel rôle pourrait jouer la France dans le cas où les Algériens la sollicitent davantage ?

Bien évidemment, la France peut jouer un rôle important. Cependant, elle doit aussi régler quelques problèmes internes à son économie. Ses entreprises sont de moins en moins compétitives. Ce qui a d’ailleurs engendré la perte de parts importantes dans le marché algérien. Néanmoins, de par l’histoire, la proximité géographique et la langue, les deux pays gagneraient à consolider leur coopération et à créer un cadre de partenariat exceptionnel. D’ailleurs, le président Macron avait cette ambition dès sa première élection. Force est de constater que c’est un échec, pour l’instant ! L’une des raisons c’est que les responsables algériens confondent la diplomatie et l’économie. C’est une erreur que des divergences sur certains points diplomatiques freinent, voire parfois bloquent, les échanges économiques gagnant-gagnant entre les deux pays.

Maintenant, l’évolution de cette relation sera définie par les choix stratégiques des deux gouvernements, qui doivent décider rapidement de ce qu’ils veulent lui donner comme orientation durant la prochaine décennie. À noter à ce niveau que beaucoup d’acteurs pourraient regretter toutes les occasions manquées en cas d’arriver au pouvoir en France, de l’extrême-droite ou même d’une coalition de la droite dure. Cette question se pose sérieusement, et dans un tel scénario, le gouvernement français se détournerait complètement de l’Algérie à tous les niveaux, et surtout économique. Les échanges entre les deux pays seront alors réduits au strict minimum des relations diplomatiques. On aurait raté la possibilité de faire ce que nous n’avons pas fait pendant près de 70 ans !

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