Dar Djeddi, le temple de la gastronomie algérienne

Dar Djeddi, le temple de la gastronomie algérienne

On déguste grâce à elle les plats traditionnels algériens incontournables tout en découvrant leur histoire dans les détails les plus croustillants. On nourrit les yeux, le ventre et l’esprit ! Derrière chaque plat servi, il y a de la recherche à trois niveaux : culinaire, historique et linguistique. Elle a pu, avec son couscous à la rose, réconcilier DJ Snake, l’un de ses convives phare, avec le couscous. Portrait de Yasmina Sellam, une passionnée de cuisine qui n’a rien à envier aux grands chefs.  

À la table d’hôte « Dar Djeddi » (maison de mon grand-père), tout est original, traditionnel et typiquement algérien. Hormis la passion et le savoir-faire, la cheffe des lieux Yasmina Sellam s’est donnée les moyens nécessaires pour réussir ses recettes, à commencer par des ingrédients locaux de très bonne qualité. Elle, l’agronome de formation qui a fait carrière dans l’enseignement à l’École normale supérieure d’Alger, sait comment faire de sa cuisine une expérience unique, avec une approche quasi-scientifique. Chez elle, manger est synonyme de plaisir et d’apprentissage.  

Chacun de ses plats raconte une histoire, la sienne et celle de l’Algérie, avec son riche patrimoine culinaire, divers, beau et bon à préserver, à défendre. C’est une véritable guerre permanente qu’elle mène pour qu’il ne meurt jamais et surtout afin de le protéger d’une certaine expropriation culturelle. « Ce qui est algérien doit rester algérien », nous dit-elle.  Son lien avec la gastronomie traditionnelle a commencé par hasard, lorsqu’elle a reçu pour un déjeuner un groupe de Portugais, des amis de son mari en déplacement professionnel à Alger. Dans un cadre agréable ajouté aux délicieux plats, « ils sont restés émerveillés ». À leur deuxième voyage en Algérie, des mois plus tard, « ils se sont invités eux-mêmes, et en famille ! ».

Un engagement culturel

C’était le déclic pour Yasmina, qui a eu l’idée de développer un concept de table d’hôte dans sa maison familiale située au village de Bouchaoui, à 20 km à l’ouest d’Alger. Un espace dans son beau jardin est dédié à cela, baptisé Dar Djeddi, nom qui fait référence aux plats traditionnels et de terroirs qui sont servis. Depuis 2012, année de son lancement, des cadres de la Banque mondiale et du FMI, des investisseurs coréens, des ministres, des ambassadeurs, etc., ont mangé chez elle. Ça marche comme un restaurant à la demande et sur réservation préalable. On peut choisir notre menu ou simplement faire confiance au chef. « Jamais une déception », garantit madame Sellam.

Chef Yasmina Sellam, fondatrice de la table d’hôte Dar Djeddi, nous présente son
livre Mémoire culinaire de l’Algérie (ANEP, 2022), prix Gourmand World Cookbook Awards
2023 dans la catégorie « Histoire culinaire » (©France Algérie Actualité).
Chef Yasmina Sellam, fondatrice de la table d’hôte Dar Djeddi, nous présente son
livre Mémoire culinaire de l’Algérie (ANEP, 2022), prix Gourmand World Cookbook Awards 2023 dans la catégorie « Histoire culinaire » (©France Algérie Actualité).

À Dar Djeddi, il s’agit d’une prestation culinaire bien particulière. « Pour moi, ce n’est pas seulement manger mais réaliser un acte culturel. », explique-t-elle. C’est toute l’histoire d’un pays qui défile à travers l’assiette. Pour servir ses plats en faisant voyager ses clients dans le temps, Yasmina lit beaucoup, se documente, fait de la recherche en bonne et due forme. C’est ainsi qu’elle a, par exemple, découvert que « la moutarde et la pâte à choux ont été introduites dans la cuisine pour la première fois par les Musulmans ». C’est ce genre d’informations qu’elle veut valoriser. Elle est convaincue que « le monde est un perpétuel échange entre les civilisations, mais il faut rendre à César ce qu’il lui appartient ». Pour elle, une recette ne naît pas en un jour, elle apparaît sous une forme quelconque, puis elle se développe et peut prendre un autre aspect chez un autre peuple, d’autres civilisations. « Même si la culture transcende les frontières, il est important de classer ces recettes et de préciser leurs origines. », nous a-t-elle confié. Elle n’est pas contre l’idée de l’enrichissement culturel, mais « il est nécessaire d’attribuer le mérite de chaque recette à son pays d’origine », comme le Couscous !

« Le couscous est algérien »

La patronne de Dar Djeddi s’acharne pour expliquer, argumenter et prouver d’une manière très méthodique et « scientifique » que « le couscous est algérien ». Elle affirme avec assurance : « Je permets tout, mais pas pour le couscous. Le couscous roulé à la main, que le monde entier aime, est le nôtre. Il s’agit d’une technique ingénieuse et typique à l’Algérie ». D’ailleurs, elle consacre son nouveau livre à l’histoire du couscous, qui sera publié en mai prochain à l’occasion du mois du patrimoine. Elle parle, entre autres, du « kssi » (habillage du couscous), une autre technicité algérienne. C’est ce savoir-faire exceptionnel dans son ensemble qui a permis au couscous d’entrer au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Dans son ouvrage, elle raconte l’histoire du couscous depuis des siècles et y revendique son algérianité.

Dar Djeddi est également une boutique des produits du terroir algérien : confitures, condiments, hydrolats, confiseries, fruits confits, pâtes à tartiner et jus artisanaux (©Dar Djeddi).
Dar Djeddi est également une boutique des produits du terroir algérien : confitures, condiments, hydrolats, confiseries, fruits confits, pâtes à tartiner et jus artisanaux (©Dar Djeddi).

Comme pour son premier livre Mémoire culinaire de l’Algérie (ANEP, 2022), prix Gourmand World Cookbook Awards 2023 dans la catégorie « Histoire culinaire », Sellam passe d’une bibliothèque à une autre à travers le monde, d’un livre à un autre, elle y restitue des échanges, des discussions, des questionnements, etc., pour arriver au final à nous raconter la racine, l’origine et l’histoire exhaustive d’une recette. Celui qui lira son livre « sera convaincu que le couscous est un plat algérien ». Elle précise : « Le mot couscous s’est fixé à partir de 1840 quand le couscous conditionné était exporté en Europe depuis une première usine implantée à Blida ». Les invités de Yasmina admirent autant ses recettes que ses histoires, à l’image de DJ Snake qui est passé par là. Après avoir dégusté son couscous à la rose, il lui lança : « Vous m’avez réconcilié avec le couscous »

Rendre à chaque recette son histoire

Au-delà du couscous, elle consacre la même énergie pour remonter les générations durant des siècles afin de rétablir chaque recette qu’elle prépare dans sa bulle spatio-temporelle originelle, à l’instar de la « bourania » et non pas la « barania » (l’étrangère), appellation faussement répandue. Cette recette est faite à base d’aubergine. D’où vient le nom ? C’est Khadidja, la belle fille du calife Haroun Al-Rachid. À cette époque, les jeunes femmes musulmanes étaient fascinées par la culture persane et se faisaient appelées par des prénoms persans. Khadidja choisit Bourania, qui veut dire le vent chargé de pluie, souvent un bon présage. Le jour de son mariage, on a servi des aubergines, une découverte pour les Musulmans de l’époque !

Dar Djeddi, plus qu’une table d’hôte, un musée de l’art culinaire algérien (©France Algérie Actualité).
Dar Djeddi, plus qu’une table d’hôte, un musée de l’art culinaire algérien (©France Algérie Actualité).

Un plat, c’est toujours l’histoire d’un terroir, d’une contrée. C’est une plongée dans la mémoire, dans l’alchimie des mets et des mots. Dar Djeddi n’offre pas de simples recettes mais elle contribue à faire connaître, par l’écrit et l’image, les multiples saveurs de la gastronomie algérienne qui remonte jusqu’à la période numide. « La gastronomie algérienne existe bel et bien. », insiste Yasmina Sellam, qui ajoute que « sa richesse est le résultat du génie local et des empreintes des autres civilisations » (Andalousie, Empire ottomans, etc.). Dar Djeddi n’est pas une simple table d’hôte, c’est un restaurant de la gastronomie traditionnelle, un musée culinaire et une boutique des produits du terroir algérien.

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