La date de la visite du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, en France est toujours en suspens. Son ministre des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, laisse entendre que toutes les conditions ne sont pas encore réunies. Il a aussi brossé une description géopolitique instable et complexe au Sahel.
Le « feuilletonnage » autour de la visite d’Etat du président Tebboune à laquelle l’a invité son homologue français, Emmanuel Macron, en août 2022, s’est étoffé d’un nouvel épisode avec les propos du chef de la diplomatie algérienne tenus dans le podcast Atheer de la chaîne qatarie Al Jazeera, qui a été diffusé hier, 29 décembre. Après avoir longuement parlé de la question palestinienne, le sujet franco-algérien a été abordé à travers le voyage présidentiel qui était prévu en mai 2023, puis repoussé en juin et enfin remis à plus tard. Pour justifier cela, Ahmed Attaf a énuméré les dossiers non résolus et bloquants.
L’éternel contentieux mémoriel
En plus des sujets liés à la mobilité des personnes et les visas ainsi que l’orientation qu’il faudrait donner à la coopération économique, le ministre algérien a surtout évoqué le contentieux mémoriel : restitution des archives, écriture de l’histoire, reconnaissance des crimes coloniaux et essais nucléaires. Sur ce dernier point, il a indiqué que l’Algérie avait demandé « une reconnaissance des dommages causés » et « des indemnisations ». Des documents déclassifiés en 2013 ont révélé des retombées radioactives importantes, de l’Afrique de l’ouest jusqu’à l’Europe, des 17 essais nucléaires français réalisés, entre 1960 et 1966, sur les sites de Reggane et d’In Ekker dans le Sahara algérien.
Mais le plus important point de blocage concernerait le refus de la restitution de l’épée ainsi que le burnous de l’émir Abdelkader par la France à l’Algérie. Ce que Paris justifie par la nécessité de faire une loi (à cause du principe d’inaliénabilité). « Pourtant, a martelé Attaf, c’est notre patrimoine ». Des exemples existent d’ailleurs où le parlement français a voté des lois relatives à la restitution de bien culturels à des pays étrangers, comme celle de décembre 2020 en ce qui concerne des œuvres rendues au Bénin et au Sénégal. Pour rappel, le programme du déplacement de Tebboune en mai dernier comportait un déplacement à Amboise accompagné de Macron, pour visiter les lieux où l’émir fut emprisonné pendant quatre ans, de 1848 à 1852. Cette séquence devait coïncider avec le lancement d’un événement marquant les 140 ans de la mort du résistant algérien, le 26 mai 1883, à Damas (Syrie). Le courrier d’invitation aux deux chefs de l’Etat, paraphé par l’évêque de Blois disait : « Ensemble, nous apportons la démonstration que ce qui nous réunit est plus fort que ce qui pourrait nous éloigner et qu’il est possible de s’unir pour réaliser de belles choses ».
Ces « belles choses » paraissent donc encore lointaines puisqu’Attaf a considéré que « la visite présidentielle fait toujours l’objet de préparatifs », autrement dit dans l’attente du règlement des dossiers non résolus, qualifiés par Attaf de « d’importants et lourds ». « En toute sincérité, les conditions de cette visite ne sont pas idoines », a-t-il avoué.
L’Algérie sur tous les fronts chauds au Maghreb
Les autres désaccords explicites entre l’Algérie et la France se situent dans la sphère internationale. Sur ce plan, le diplomate a profité de la tribune qui lui a été donnée pour rappeler les positions de principe d’Alger. Amené à s’exprimer sur les relations algéro-marocaines, il a indiqué que « l’Algérie a fait ce qu’il fallait s’agissant de la question sahraouie. Elle a présenté des propositions et des plans de sortie de crise entre le Maroc et les Sahraouis ». Et d’ajouter : « L’entêtement n’est pas à chercher du côté algérien ». Autre sujet de désaccord entre Alger et Paris : le conflit israélo-palestinien. Le patron des AE algériennes a réitéré la solidarité complète des Algériens avec les Palestiniens, à l’opposé de la position française apparue très pro-israélienne après les attaques du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023.
D’autre part, l’Algérie continue à suivre de près l’évolution de la situation sécuritaire au Sahel, un « défi pour ses frontières » affirme Attaf, car elle en subit les contrecoups, en partie à cause de la politique française dans la région depuis 2010. Parlant du Mali, notamment mais de tous les pays en conflit qui entourent l’Algérie, l’invité de la journaliste algérienne, Khadija Benguenna, alerte : « Nous observons des phénomènes sécuritaires qui prennent de l’ampleur. Il ne s’agit plus de groupes terroristes mais d’armées de terroristes évoluant dans une sphère où les changements non constitutionnels sont récurrents ». Depuis la guerre en Libye, en 2011, ceux qui ont causé la guerre sont partis en laissant un désastre. « Le marché des armes, même lourdes, est devenu libre, facile d’accès. La Libye a été plongée dans la guerre et l’Algérie a hérité d’une situation instable et complexe », a-t-il regretté.