« Être méchant avec les méchants et gentil avec les gentils ». C’est avec cette formule quelque peu puérile que Gérald Darmanin, ministre français de l’Intérieur, a résumé l’esprit de la nouvelle loi sur l’immigration qu’il a présentée devant les sénateurs le 6 novembre dernier.
Promise par le président Emmanuel Macron lors de la campagne électorale pour sa réélection en 2022, le nouveau texte, hautement « inflammable », risque une fois de plus de conduire tout droit le gouvernement d’Elisabeth Borne vers une nouvelle crise politique, semblable à celle qu’il a connu lors de la réforme des retraites, début 2023.
La nouvelle loi est critiquée par la majorité des partis politiques. La gauche considère qu’elle ne prend pas sérieusement en compte la question de l’intégration. La droite la trouve moins répressive, et dénonce avec véhémence l’article 3 qui prévoit de régulariser les travailleurs étrangers « sans papiers » qui occupent des métiers qui sont « sous tension ».
Régularisation des travailleurs « sans papiers »
La régularisation des « sans papiers » est la mesure la plus controversée, qui crispe notamment le parti de droite Les Républicains, dont le gouvernement a besoin pour faire voter cette la loi sans passer par l’article 49/3. Elle prévoit de régulariser des dizaines de milliers d’étrangers en situation irrégulière qui occupent des postes dans des métiers où la main-d’œuvre fait défaut, tels que le bâtiment, la restauration, la santé, le nettoyage, et des métiers d’informatique comme les ingénieurs systèmes et les spécialistes de la cybersécurité.
La loi prévoit d’octroyer une carte de séjour d’un an avec possibilité de renouvellement. C’est le travailleur lui-même qui doit demander sa régularisation administrative et il est prévu d’en régulariser environ 7 000 à 8 000 employés chaque année. Toutefois, les préfets gardent un droit discrétionnaire dans l’octroi desdits titres de séjour. En parallèle, le texte prévoyait également la création d’une carte de séjour « talents professions médicales et pharmacies » pour parer au manque flagrant de ces professionnels en France, en particulier dans les zones rurales.
Regroupement familial
La commission des lois du Sénat a prévu de resserrer les conditions du regroupement familial. Elle veut rendre la procédure plus difficile en imposant plus de critères concernant le séjour du conjoint et en augmentant le niveau des ressources que doit justifier chaque demandeur. La droite cherche à rendre cette procédure plus compliquée et réclame à ce que le parlement ait un droit de regard sur le nombre d’étrangers qui doivent être admis chaque année en France dans ce cadre.
Réforme du droit d’asile
La nouvelle loi sur l’immigration a deux objectifs concernant le droit d’asile : Premièrement, accélérer le traitement des demandes d’asile en la ramenant à six mois au lieu d’un an, voire même plus actuellement. Deuxièmement, accélérer les procédures d’expulsions des personnes déboutées. À ce titre, le ministère de l’Intérieur veut délivrer des OQTF (Obligation de quitter le territoire français) à tout demandeur d’asile débouté en première instance, alors que jusqu’à maintenant, cette obligation n’intervient qu’une fois tous les recours du demandeur sont épuisés.
Par cette mesure, le gouvernement veut décourager les demandeurs à user de tous les droits que leur confère la constitution française. Le ministère de l’Intérieur veut, par ailleurs, réduire de 12 à 4 le nombre de recours possibles contre les expulsions. En outre, il prévoit d’élargir le recours à un juge unique à la Cour nationale du droit d’asile et à décentraliser cette juridiction pour traiter bien et vite les demandes d’asile déposées en régions.
Réforme de l’aide médicale d’Etat (AME)
Jusque-là, le principe de l’Aide médicale d’Etat (AME) donne droit à toute personne en situation irrégulière de bénéficier de soins dans les structures de santé. Mais la commission des lois du Sénat a souhaité transformer cette aide en « aide médicale d’urgence ». Autrement dit, la personne en situation irrégulière en France ne peut recevoir de soins que lorsqu’elle est atteinte d’une maladie « grave » ou ressent des « douleurs aiguës », ainsi que les soins liés à la grossesse ou aux campagnes de vaccination comme ce fut le cas lors de l’épidémie de la Covid-19.
Ce sont la droite et l’extrême-droite qui ont poussé à cette réforme de l’AME, sous prétexte qu’elle constitue un véritable appel d’air pour les étrangers et coûte environ 1,2 milliard d’euros chaque année aux contribuables. Mais si Darmanin est pour la suppression de l’AME, une partie de la majorité à l’assemblée nationale reste opposée. Pour sa part, le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, a défendu l’AME comme un « dispositif de santé publique » qui permet de lutter contre le « déversement sur l’hôpital de tous les soins urgents » et la « diffusion » de maladies infectieuses comme la tuberculose.
Mieux maîtriser la langue française
Sur un autre plan, le gouvernement français veut conditionner l’octroi de la première carte de séjour pluriannuelle, pour toutes les catégories de séjour, à une « maîtrise minimale de la langue française ». Si avant, la procédure consistait à une participation à une formation linguistique, la nouvelle loi prévoit un examen de français obligatoire.
Quelles sont les chances de voir cette loi adoptée sans 49/3 ?
Alors que le président Macron avait assuré qu’il n’hésiterait pas à utiliser l’article 49/3 pour faire voter sa loi immigration, il n’est de secret pour personne qu’il essaye néanmoins de trouver un compromis avec Les Républicains. Le parti majoritaire au Sénat, très remonté contre l’article 3, a eu gain de cause avec la suppression de cet article lors du vote d’hier, mardi 7 novembre. Cependant, il devrait réapparaître ailleurs dans le texte à travers de nouveaux amendements. C’est en tout cas ce qu’a laissé entendre Gérald Darmanin, qui a affirmé, mardi soir, « qu’il y aura bien un article de régularisation pour les travailleurs en tension et c’est une très bonne chose ».
Enfin, précisons que les sénateurs ont voté aussi la suppression de l’AME. Ils l’ont transformée en « aide médicale d’urgence ». Ce changement est « regrettable » selon Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée aux Professions de santé. Elle a estimé que « le choix du Sénat est une profonde erreur » et « même une faute ».
Le projet de la nouvelle loi immigration entrera dans le « dur » lorsqu’il sera débattu par les députés français à l’Assemblée nationale au mois de décembre prochain, où le gouvernement dispose d’une majorité partielle.
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