Contribution de Pr Aissa Kadri
La coopération franco-algérienne en matière d’enseignement et de recherche est ancienne. Elle est passée par des périodes fastes et des périodes de reflux. Dans la période de l’immédiate postindépendance, les institutions algériennes ont continué à fonctionner grâce à des amis français de l’Algérie : pro-indépendantistes, « pieds-rouges » ou simplement enseignants et chercheurs attachés à l’Algérie et à leur métier. On sait aujourd’hui, à travers des témoignages d’acteurs, que beaucoup d’instituteurs et d’enseignants français ont accompli les rentrées scolaires et universitaires des premières années de l’indépendance : 12 000 instituteurs « européens » ont rejoint leurs écoles en septembre 1962 ; et un peu plus de 2 000 enseignants du secondaire général, technique, professionnel et du supérieur.
L’université algérienne naissante, dont l’un des premiers recteurs en 1963 fut André Mandouze (latiniste émérite venu de Témoignage Chrétien qui avait dû fuir l’université d’Alger sous la menace de l’OAS), va être largement encadrée par des enseignants, vieux universitaires et jeunes militants indépendantistes comme Jacques Peyrega (doyen de la faculté de droit devenu ensuite directeur de l’Institut de planification), Jean Leca (directeur de l’Institut d’études politiques, l’IEP d’Alger), François Borella (doyen de la faculté de droit) ; etc. En médecine les professeurs Michel Martini, Alice Cherki, Meyer Timsit, Jacques Brehan, Pierre Roche, Pierre Guedj, André Martini, Annette Roger et Joseph Serror ont participé au démarrage des études médicales et des hôpitaux. En mathématiques, Claude Bardos, Henri Buchwalter, Daniel Lehmann, Martin Zerner et les futurs médaillés Fields Jean-Pierre Serre et Alexandre Grothendieck ont encadré les premières cohortes de l’indépendance. La recherche aussi avait maintenu des liens très soutenus avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à travers l’Organisme de coopération scientifique franco-algérien (OCS).
L’AARDES (Association algérienne pour la recherche démographique économique et sociale) et le CRAPE (Centre de recherches anthropologiques, préhistoriques et ethnographiques) constituèrent des espaces, où les travaux pionniers des équipes autour de M’hamed Boukhobza et de Mouloud Mammeri apportèrent beaucoup tant à la formation de jeunes chercheurs qu’à la connaissance des réalités sociales algériennes. À la fin des années 1960, fut créé auprès de l’IEP d’Alger, dont le premier directeur algérien fut Abbes Aberkane issu de l’ENA Paris, le premier Centre algérien de recherches et de documentation en sciences sociales (CERDESS). Il sera dirigé par Pierre Bourdieu et Jean Claude Passeron pour le département de sociologie ; Jean Leca et Jean Louis Quermonne pour celui des sciences politiques.
Coopération soutenue au lendemain de l’indépendance
La période de partenariat scientifique entre la France et l’Algérie qui s’est développée durant la première décennie de l’indépendance a jeté des bases solides d’un programme ambitieux de coopération culturelle, scientifique et technique. Grâce à un protocole d’accord entre les deux pays, signé le 11 juin 1963, le Conseil de la recherche scientifique (CRS) a été créé. Il s’est vu confier la gestion de quatre instituts de recherche qui étaient encore administrés par l’Office universitaire et culturel en Algérie : l’Institut d’études nucléaires, l’Institut océanographique, le Centre anti-cancéreux Pierre et Marie Curie et le CRAPE. Le CRS sera remplacé par l’OCS en 1968, qui disparaîtra lui-même en 1972.
Cette première phase, dans le mode d’organisation et les moyens mis en œuvre, prédisposait à la formation du noyau originel et dynamique de la recherche algérienne. Celui-ci s’inscrivait dans un type de relations à part, préservé des turbulences politiques. Néanmoins, ce cadre purement scientifique n’a pas été exempt de malentendus et de sous-entendus. Il va pâtir aussi bien de la problématique des relations politiques ambivalentes franco-algériennes que de l’absence d’un potentiel humain national de recherche, que l’université algérienne ne produisait pas encore à ce moment-là.
C’est aussi à cette époque, plus exactement en 1970, qu’a été créé en Algérie, le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (MESRS). Celui-ci s’est doté aussitôt d’une direction de la Recherche scientifique, qui va occuper un rôle central dans la mise en place des institutions de la recherche. L’université connut un accroissement considérable de l’encadrement des différents départements d’enseignement supérieur, par de jeunes et moins jeunes coopérants qui formèrent à l’enseignement et à la recherche toute une génération de cadres algériens, dont certains resteront en activité jusqu’à ces dernières années.
En dépit de quelques résistances à une coopération franco-algérienne, ascendante et perçue comme néocoloniale, cet encadrement a permis d’asseoir les bases d’institutions de formation à l’enseignement et à la recherche prometteuses. La dissolution CERDESS qui a suivi la mise en place du MESR augurait cependant, une première étape dans la « nationalisation-domestication » des sciences sociales, qu’achèveront de réaliser la réforme de l’enseignement supérieur de 1971 et la généralisation d’une arabisation menée à la hussarde.
Création du Conseil national de la Recherche
Une nouvelle étape se dessinera à partir de 1973, notamment avec la création du Conseil national de la Recherche (CNR) et, surtout, de la mise en place de l’Office national de la Recherche scientifique (ONRS). Cela augurait d’une relance d’une politique de la recherche plus organisée et autocentrée, mais déjà le reflux de la recherche fondamentale se marquait à travers une redéfinition des sciences sociales dans une orientation dite d’« opérationnalité » et, de manière générale, de tendance économiste, fondée sur l’idée fausse d’adaptation de l’université à un modèle de développement déclaré spécifique. Les mots d’ordre de la réforme universitaire entamée en 1971 résonnaient comme un écho au langage économiste dominant : opérationnalité, adaptabilité, technicité, rentabilité. C’est dans ce contexte que la recherche en sciences sociales va être principalement redéfinie comme recherche appliquée. Dans ce nouveau dispositif, d’autres institutions deviennent centrales : le Centre de recherches en Économie appliquée (CREA), le Centre national d’études et de recherches urbaines (CNERU) ; le Centre universitaire de recherches et de réalisations (CURER), qui sera basé à Constantine, le Centre des études linguistiques de Ben Aknoun, etc.
Il était tout à fait étonnant d’observer, dans le contexte de ces années 1970, que l’expérience du CERDESS n’avait pas eu de suite et qu’on n’ait pas pensé, l’ère étant à l’économisme, à mettre en place de grands centres de recherches en sciences sociales interdisciplinaires et spécialisés (en éducation, en pédagogie, sur la famille, sur les questions urbaines, les femmes, les jeunes, sur le monde du travail et le monde paysan, etc.). Le modèle industrialiste faisant prévaloir ses priorités, il y aura bien le CREA (Centre de recherche en économie appliquée), devenu ensuite CREAD (Centre de recherche en économie appliquée pour le développement), et deux centres basés à Oran, en l’occurrence, le CRIDISSH (Centre de recherche et de documentation des sciences sociales et humaines) et le CRASC (Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle). Mais cela était insuffisant dans le contexte d’une croissance exponentielles des effectifs étudiants.
Cette phase, qui va courir de 1973 aux années 1980, se voulait avant tout comme celle de l’impulsion de la recherche à l’université. Les centres de recherches, structures propres de l’ONRS, vont être essentiellement investis par des enseignants qui, contre indemnités complémentaires, vont engager et diriger des projets de recherche. Des liens informels sont établis entre certains centres et des instituts d’enseignement. Des conventions furent signées entre certaines universités et l’ONRS : le CURER avec l’Université de Constantine ; le CRAU (Centre de recherches en architecture et en urbanisme) avec l’EPAU (École polytechnique d’architecture et d’urbanisme) ; le CERAG (Centre d’études et de recherches agronomiques) avec l’INA (Institut national d’agronomie) ; le CNERAT (Centre national d’études et de recherche pour l’aménagement du territoire) avec l’Institut de géographie ; etc.
Succès des recherches mixtes algéro-françaises
À l’époque, les recherches localisées dans les institutions d’enseignement sont encouragées. Et les programmes bilatéraux entre l’Algérie et la France, notamment ceux dépendant du Comité mixte d’évaluation et de prospective (CMEP), comme le programme Tassili, connurent un certain succès. Aussi bien, c’est dans les universités et autour d’équipes pédagogiques algéro-françaises que la recherche a connu quelques développements, notamment à l’Institut de droit d’Alger, autour de la Revue Algérienne de droit et de sciences politiques. Il y a eu également quelques grandes recherches (coordonnée par le secrétariat d’Etat au Plan) qui furent menées par des équipes mixtes. Par exemple, l’enquête sur les Instituts technologiques de l’éducation (ITE), celle sur la formation professionnelle, celle sur la paysannerie (réalisée par le CREA), celle sur l’habitat précaire, celle sur les bidonvilles d’El-Harrach (réalisée par le CNERU), celle sur l’immigration algérienne en France (enquête du secrétariat d’Etat au Plan), etc.
Dans le même moment la plupart des travaux des Algériens relevaient de travaux de thèses en cours. Il y avait là une génération de jeunes chercheurs de très haut niveau qui se constituait. Néanmoins, les restructurations engagées localement, dans les années 1970, n’ont pas donné d’effets majeurs. La logique de développement de l’institution chargée de la recherche et les mécanismes mis en place vont orienter cette politique dans un processus de remise en cause de l’existant. L’ONRS va devenir, de plus en plus, une structure centralisée et bureaucratisée. La part du personnel administratif va prévaloir sur celle des enseignants-chercheurs et des ingénieurs de recherche et techniciens. De plus, les enseignants-chercheurs ne sont le plus souvent que des chercheurs « occasionnels », pris dans leur double appartenance. Engagés dans les pratiques pédagogiques d’une université en pleine explosion démographique, ils ne consacrent que très peu de temps à leurs recherches. Les enseignants, sous-payés par l’université et suremployés pédagogiquement, ne s’orientaient généralement vers les centres de recherches que pour cumuler l’indemnité complémentaire de recherche.
Avec la généralisation de l’arabisation dans le supérieur, en 1983, l’université comme les centres de recherche voient leurs effectifs en chercheurs se réduire drastiquement. On entre alors dans une phase paradoxale, de piétinement de la recherche, de reflux, mais aussi de productions intellectuelles nombreuses et de qualité, de mise à disposition de travaux démarrés dans les années antérieures, qui venaient à terme à ce moment. Ce sont des travaux universitaires en sciences sociales de qualité, qui ont éclairé les logiques en œuvre dans la voie de développement algérienne et ouvert des débats importants sur l’évolution du pays. Il y a eu, entre autres, les travaux de Djilali Liabes, de M’hamed Boukhobza, de Saïd Chikhi, d’Ali El Kenz, de Djamal Guerid, d’Abdelkader Djeghloul, de Fayçal Yachir, de Nadir Marouf et d’autres jeunes enseignants-chercheurs. En même temps, certaines entreprises publiques, comme la Société nationale de sidérurgie (SNS) et l’Entreprise nationale d’études et de réalisations des infrastructures commerciales (ENERIC) ainsi que certains ministères s’ouvrirent aux jeunes chercheurs en lançant de grandes enquêtes.
Commission nationale de la formation à l’étranger
De la fin des années 1980 jusqu’aux années 1990, on assistera à une remise en cause de la stratégie privilégiant une formation à l’enseignement et à la recherche locale, essentiellement développée sur place en Algérie. Ce sera la formation à l’étranger et notamment en France qui va prendre le pas sur la formation encadrée localement par la coopération. La création de la Commission nationale de la formation à l’étranger (CNFE), en 1981, venait déjà confirmer l’échec des « industrialistes », qui perdront la main sur l’envoi d’étudiants à l’étranger. L’université en pleine expansion exigeait l’élargissement de son encadrement et le remplacement des coopérants. La gestion de la formation à l’étranger n’avait, semble-t-il, abouti qu’à une dispersion des efforts. Les réorientations vont concerner aussi les pays d’accueil destinataires des étudiants envoyés en formation. En 1982, ce sont les pays « socialistes » qui prennent en charge le plus d’étudiants algériens, l’URSS venant en tête avec 1072 étudiants recensés. Les pays occidentaux suivaient avec respectivement 721 étudiants pour la France, 422 pour la RFA et 381 pour la Grande-Bretagne.
La décennie 1980-1990 marque ainsi un grand recul de la coopération scientifique entre la France et l’Algérie, dans un contexte d’« université de masse » asphyxiée et de centres de recherches en difficultés pour cause d’insuffisance de financement et d’absence de personnel d’encadrement qualifié. On entre dans une phase de tâtonnement et de démultiplication de structures de gestion. L’ONRS est dissoute, en 1983, et remplacée par un Haut-Commissariat à la recherche, en 1986. Celui-ci dépendra de la présidence jusqu’en 1990, au moment de la création du Ministère délégué à la recherche et à la technologie sous l’égide du Premier ministère. Cette étape redouble la centralisation politique déjà excessive du système de recherche. Dans le même moment, l’université connaît la politique de la « Carte universitaire » à travers la démultiplication des instituts d’enseignement supérieur sans autre logique que de répondre à la pression du nombre. Ces processus ont accru l’illisibilité des objectifs ultimes, des fins et moyens d’une politique d’enseignement et de recherche inscrite dans une perspective de courte durée.
Il n’en reste pas moins qu’une relative coopération algéro-française se maintient dans cette période à travers les programmes d’actions intégrés. Ces programmes dits CMEP vont concerner toutes les disciplines, les secteurs scientifiques y représentant le poids principal par rapport au total des accords. Quant aux lettres et sciences humaines, qui représentaient 10% du total en 1987, elles vont augmenter à 22,5% en 1998. Le nombre de projets de recherche développés en commun dans la période 1987-1999 a oscillé entre 100 et 160. Quelques 30 à 35 projets étaient retenus annuellement. Ces accords bilatéraux ont produit en moyenne 5 thèses par projet et trois à cinq publications de niveau international. C’était sans doute insuffisant, mais cela avait le mérite d’exister.
Comité international de soutien aux intellectuels algériens
Et pour cause, dans le contexte politique et sécuritaire des années 1990, les universités algériennes et les centres de recherche ont vécu un véritable embargo intellectuel et culturel avec l’enracinement des violences, qui ont freiné les échanges internationaux avec le pays. Rares étaient les universitaires étrangers qui ont continué à venir en Algérie et les jeunes enseignants-chercheurs locaux n’ont pas pu bénéficier des dernières avancées de la recherche et de l’accès aux nouvelles publications et nouveaux travaux. Il faut ajouter, qu’à cause des violences persistantes, beaucoup d’universitaires et de chercheurs ont préféré s’isoler ou « s’exiler » et travailler dans des conditions plus favorables. Dans la plupart des cas, ils ont trouvé des postes d’accueil dans les institutions françaises et le champ intellectuel français, dans sa globalité, s’est solidarisé avec eux à travers la mise en place d’associations de soutien, à l’image du Comité international de soutien aux intellectuels algériens (CISIA). On y retrouvait les anciens enseignants de l’Université d’Alger qui venaient au secours de leurs anciens étudiants devenus entre-temps enseignants-chercheurs.
En ce qui concerne la restructuration de la recherche qui a suivi la dissolution de l’ONRS, celle-ci n’a guère fait évoluer une situation atone, voire gelée, du fait des violences qui affectèrent la société. Néanmoins, il y a eu la mise en place dans le moment de deux agences de la recherche: l’Agence nationale pour le développement de la recherche universitaire (ANDRU), en 1995, et l’Agence nationale pour le développement de la recherche en santé (ANDRS), en 1997. Dans un contexte de reflux où la recherche se cantonnait plutôt dans les départements universitaires, l’ANDRU a engagé des processus d’évaluation des recherches à travers des commissions mixtes mobilisant des experts algériens dont certains installés en France et des experts français.
Cette parenthèse sera fermée au début des années 2000, marquées par le lancement du programme quinquennal de la recherche scientifique et la réforme du LMD (Licence-Master-Doctorat), démarrée en 2003. Cette nouvelle étape apparaît sur le moment comme celle d’une relance sérieuse de la coopération scientifique franco-algérienne qui avait été dans ces années de violence quelque peu freinée. L’Europe ouvrait enfin ses programmes de recherche à l’Algérie, et la France officielle, à travers ses plus hautes autorités, va faire preuve de beaucoup de volontarisme dans la définition d’une politique de développement et d’approfondissement de la coopération scientifique avec le pays.
Accompagner la réforme LMD
Dans ce cadre, beaucoup de programmes ont été projetés durant les années 2000. Ceux-ci ont fait l’objet de préparation réfléchie et d’une réelle volonté de soutenir les réformes universitaires et la mise à niveau des institutions d’enseignement et de recherche. Une organisation centrale de soutien est mise en place pour relancer la coopération en matière de recherche dans une perspective de moyenne durée. Des fonds de solidarité prioritaire (FSP) de recherche sont financés afin de relancer la recherche en partenariat d’équipes. Des écoles doctorales communes étaient envisagées. Certaines universités françaises sont sollicitées pour accompagner et parrainer des universités algériennes pour leur entrée dans le LMD. Des expertises européennes et françaises sont venues soutenir la mise en place du LMD. Certaines certifications locales sont imaginées dans des processus de co-habilitation et de co-diplomation. Des laboratoires et collectifs d’enseignement et de recherche français font le pas de vouloir collaborer avec les universités algériennes. Ainsi, des conventions de partenariat sont de plus en plus signées entre universités algériennes et françaises, même si beaucoup d’entre elles restaient sans suite effective.
Par ailleurs, de nombreux universitaires algériens ont été intégrés dans le monde de l’enseignement et de la recherche en France dans le moment. On en a comptabilisé autour d’une centaine, de nationalité algérienne ou franco-algériens, exerçant comme directeurs de recherche et chargés de recherche au CNRS et dans d’autres centres, et plusieurs dizaines d’enseignants chercheurs de différentes disciplines en exercice dans les universités françaises. Cette intégration se révéla comme un point d’appui fort dans le lancement de projets communs et le développement d’une coopération plus informée et mieux suivie.
Les programmes européens (Tempus Meda, Erasmus Mundus, PIRSES, 6e et 7ePCRDT, Horizon 2020) deviennent alors autant d’opportunités, à partir de consortiums européens de recherche, de développer des liens d’échanges scientifiques avec des équipes françaises. Ce sont souvent celles-ci qui parrainaient l’entrée des équipes algériennes dans les programmes européens. Ces dernières, étant souvent porteurs de projets, devenaient des portes d’entrée pour les laboratoires algériens dans l’espace d’enseignement et de recherche européen. À cet égard, de nombreux programmes de réformes ont été développés en lien avec des universités françaises comme co-coordinatrices. Ainsi, l’Université Paris 8 a mis en place un Tempus gestion des universités pour les universités algériennes ; l’École nationale de l’administration (ENA) a été partie prenante d’un Tempus formation (IDARA) ; l’Université de Boumerdès a coordonné un Tempus pour les bibliothèques ; l’Université d’Alger a été partenaire avec des universités méditerranéennes dans un Tempus « Genre » ; les universités de Béjaïa, Annaba, Oran et Constantine ont participé avec le CREAD en consortium avec l’Université de Saint-Etienne et d’autres universités européennes pour la mise en place d’un Master Création d’activités ; etc.
Les chercheurs et universitaires algériens sortaient du tête-à-tête franco-algérien en s’inscrivant dans des espaces et champs intellectuels plus larges, stimulants et féconds. Ces programmes européens qui ont permis aux jeunes chercheurs et universitaires algériens de s’ouvrir sur l’international ont établi des traditions d’échange entre chercheurs et universitaires, qui durent pour certaines jusqu’à aujourd’hui. On ne peut que regretter que l’Algérie n’ait pas été plus présente dans les réponses aux appels d’offres européens de construction de consortiums de recherches. Il n’y a, en effet, de développement de la recherche et de l’enseignement que dans l’ouverture sur l’international. Dans le même temps, les programmes franco-algériens, CMEP, se sont régionalisés et élargis au Maghreb et des programmes de recherche associant les pays maghrébins à la France se sont mis en place. Dans ce contexte, la coopération et le développement de recherches bilatérales ont été relancés à travers les programmes PHC (Partenariats Henri Curien).
Impact des mutations de l’université sur la coopération
Cependant, nombre d’obstacles n’ont pas permis à tous ces programmes de formaliser un champ cohérent d’échanges scientifiques. D’un côté, les universités françaises et les centres de recherches en France étaient en phase de redéfinitions et leurs composantes sociologiques se sont considérablement transformées. Les enseignants-chercheurs de la génération de la décolonisation sont quasiment tous partis à la retraite et les jeunes enseignants-chercheurs sont plutôt tournés vers la recherche locale ou regardent vers l’Europe, les pays asiatiques ou anglo-saxons. Il y a un net reflux des études et recherches sur l’Afrique et le Maghreb. Il n’y a plus guère de postes ouverts en France dans les universités ou au CNRS et l’IRD (Institut de recherche pour le développement) sur l’aire culturelle maghrébine. Beaucoup d’universités et de centres de recherches français se recentrent, se régionalisent et ne s’intéressent plus au Sud de la Méditerranée, sinon à travers le regard sécuritaire.
De l’autre côté, les universités algériennes ont été noyées sous le poids du nombre ainsi que des problèmes d’encadrement et de gestion. Les multiples restructurations engagées sans logique d’ensemble, au coup par coup, sous l’effet de pressions du nombre et plus largement idéologiques, apparaissent sans effets sinon à accélérer la désinstitutionalisation. Même la politique d’offre de bourses de courte durée menée par le MESRS pour mettre à niveau les enseignants-chercheurs s’avère un échec complet dans la mesure où les missions des enseignants-chercheurs algériens ne sont pas préparées et se font sans réelle intégration dans les labos français. Le programme de détachement pour des jeunes chercheurs afin qu’ils puissent préparer et finaliser leurs thèses en codirection, et non en cotutelle, n’a pas eu de résultats probants non plus. La question du retour, ou plutôt du non-retour des chercheurs, ne permettait pas à ces derniers, qui étaient temporairement détachés par leur établissement, de bénéficier de titre de séjour stable qui leur permettrait de développer leur recherche de manière sereine.
De manière générale, dans cette période, la centralisation de l’université algérienne se consolidait, et le contrôle du ministère se faisait plus pesant. Les structures de programmation, de gestion et d’évaluation de la recherche se sont multipliées rendant illisible les circuits. Chaque ministre qui arrivait annonçait sa volonté d’aller vers l’autonomie des universités, un vieux serpent de mer déjà mis sur table par le ministre Abdesselam Ali-Rachedi dès 1989. Or, encore aujourd’hui, les universités algériennes sont dépendantes des directions centrales du ministère pour leurs échanges scientifiques. La direction de la coopération internationale fonctionne non pas comme facilitateur des échanges scientifiques, mais comme instance de contrôle, voire comme censeur des propositions des programmes proposés par les universités et laboratoires. Les colloques comme les réunions scientifiques doivent tous avoir l’aval du ministère.
Un développement inclusif de la recherche (plus ouvert, moins administré, donnant plus de liberté aux collectifs de recherche et tendant à s’ouvrir sur le monde socio-économique) apparaît comme un vœu pieux dans un contexte marqué par deux éléments : l’absence de lisibilité des priorités de formation au regard de l’évolution incertaine de l’économie et de la plasticité des demandes sociales ; la fermeture du champ associatif et un contrôle plus accru des échanges universitaires, scientifiques et culturels avec les pays étrangers.
Programmes nationaux de recherches
La centralisation va être plus patente avec la loi 2008, qui modifie et complète celle de 1998. L’institutionnalisation d’une Direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique (DGRSDT) fera de celle-ci l’organe directeur central chargé de la mise en œuvre de la politique nationale de recherche scientifique et du développement technologique. La recherche devient davantage autocentrée sur le plan de la gestion et fragmentée sur le plan des projets, avec la mise en place des Programmes nationaux de recherches (PNR). Quelques trois mille programmes sont lancés dans le moment, dont certains sont ouverts timidement et à la marge aux chercheurs de la diaspora algérienne.
Cette tentative de relance de la recherche n’aura pas de suite, ni de retombées effectives. Elle donna des résultats mitigés, voire négatifs. Le financement des recherches a porté plus sur les moyens d’équipement que sur le développement et la réalisation des objectifs de celles-ci. L’orientation vers les sciences dures a été privilégiée dans l’optique d’amplification des relations avec les entreprises, alors même que celles-ci étaient en crise. L’éducation qui connaissait un développement exponentiel a eu une part extrêmement faible dans les PNR, alors qu’elle était centrale dans la compréhension de l’évolution des dysfonctionnements majeurs que connaissait le pays. L’évaluation de ces PNR a été elle-même quelque peu escamotée et leurs résultats ont été faiblement valorisés.
Les réorientations qui vont suivre alors viseront à développer la recherche dans trois directions : lier davantage les travaux aux secteurs socio-économiques ; penser la recherche à partir d’institutions et d’organismes de réflexion prospective ; et, plus récemment, privilégier une ouverture plus effective sur la numérisation et la valorisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication. C’est dans ce contexte que le ministère a fait appel au parrainage de l’Académie française des Sciences pour la création d’une Académie des Sciences algérienne, qui verra le jour en 2015, et dont la première assemblée générale n’aura lieu qu’en 2022. Un autre projet a été aussi envisagé avec l’établissement « Universcience de Paris » qui devait soutenir la mise en place en Algérie d’une politique de vulgarisation scientifique, à travers des expositions, des animations et des conférences. Des disciplines et champs nouveaux, comme les mathématiques et l’intelligence artificielle, sont mis en avant pour être accompagnés et développés.
Plus d’une décennie d’incertitudes…
Dans la dernière décennie du règne d’Abdelaziz Bouteflika, l’Algérie a traversé une période de grande incertitude qui a inévitablement impacté la recherche scientifique, avec même un ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique qui ne souhaitait pas, disait-il « préparer des Nobels ». Encore fallait-il qu’il explicite ce qu’il proposait comme alternative, peut-être moins mobilisatrice et plus réaliste, à une gestion boutiquière au jour le jour ! Dans ce contexte, la coopération scientifique franco-algérienne est redevenue plus erratique. Le cadre politique est devenu plus contraignant ; la centralisation et le contrôle plus bureaucratiques. La tenue de colloques comme la participation des enseignants-chercheurs à ceux tenus à l’étranger devaient avoir l’autorisation du ministère. La participation à des recherches conjointes avec les universités étrangères était soumise à accord de la direction de la coopération internationale.
La montée des contestations sociales et les mouvements sociaux, qui ont touché tout le monde arabe, rendaient suspecte, sous le prétexte d’ingérence, toute participation étrangère. Un des arguments du blocage de la mise en place de diplômes communs, de co-diplomation, qui sera avancé dans le moment par les responsables du ministère, relevait semble-t-il, de l’impossibilité de transférer la part financière des frais de scolarité qui correspondaient au financement de la participation du partenaire étranger. La recherche algérienne demeurait alors l’une des moins dynamiques de l’aire culturelle, et la moins ouverte sur l’international. En même temps, l’Algérie est devenue l’un des pays du sud de la Méditerranée qui consommait le moins sa part des financements européens de la recherche, loin derrière l’Égypte, le Maroc et la Tunisie. L’ouverture sur l’international dans la recherche et l’enseignement n’était pas à l’ordre du jour.
De même, le budget consacré à la recherche reste un des plus faibles de la région, même si les autorités annoncèrent en diverses occasions son augmentation. Le nombre de chercheurs hors université reste également assez faible : moins de trois mille chercheurs, pour une population de plus de quarante-cinq millions et presque deux millions d’étudiants. La massification de l’université fait que les enseignants (un peu moins de quarante mille enseignants-chercheurs) sont plus mobilisés dans l’encadrement que dans la recherche. En outre, la progression dans les statuts des enseignants et des chercheurs, qui procède plus de critères administratifs que de critères académiques (directions et participations à des recherches, publications, etc.) n’incite guère ceux-ci à s’impliquer dans la recherche scientifique.
Si la coopération scientifique n’a pas connu un développement attendu par les partenaires et acteurs des échanges, les liens ne sont pas pour autant complètement distendus. Avec l’extinction du HCUR (Haut-Conseil universitaire et de recherche algéro-français), des conférences bilatérales annuelles sur l’enseignement et la recherche sont organisées pour faire le point et lancer de nouvelles initiatives. C’est ainsi que la conférence de 2014 a mis au-devant des priorités le numérique comme thématique de coopération. Dans le même ordre d’idées, le soutien apporté aux sciences sociales par le SCAC (Service de coopération et d’action culturelle) est resté important, les programmes Tassili sont consolidés, un FSP est lancé à partir de 2009 pour appuyer la réforme des écoles supérieures algériennes et à la création d’une école supérieure de technologie, etc. Globalement, en s’appuyant sur les programmes Tassili, qui ont fait leurs preuves depuis une triple décennie, et sur les bourses PROFAS de formation à la recherche (bourses d’excellence), la coopération scientifique algéro-française a évolué, durant les années 2010, à travers des actions ponctuelles : programmes d’enseignement professionnel avec la mise en place d’Instituts de technologie à l’image des Instituts universitaires de technologies français ; soutien de pôles de formation en mathématiques, informatique, archéologie et patrimoine ; mise à disposition de moyens matériels à certains laboratoires, etc.
Quelles sont les conditions d’une coopération équilibrée et durable ?
Complètement bloquée pendant plusieurs mois dans le contexte de la Covid-19, la coopération a connu une certaine relance après la fin de la pandémie. La France a mis en place des bourses de recherches de courte durée : « André Mandouze » ; et de doctorat : « Djilali Liabes ». Des conventions ont été signées pour le soutien de masters conjoints, associant des universités algériennes et françaises.
Avant la dernière et énième glaciation des relations politiques entre Paris et Alger, la coopération scientifique semblait être la première bénéficiaire de leur réchauffement dans le contexte de la visite d’Etat en Algérie du président français, Emmanuel Macron, en août 2022. Ce voyage a été suivi, au mois d’octobre de la même année, par la réunion du Comité Intergouvernemental algéro-français dehautniveau (CIHN), présidé par les deux Premiers ministres. On s’attendait alors à une vraie redynamisation des relations en matière d’enseignement et de recherche. Une première convention, signe et symbole d’une reprise effective, a été même signée par le directeur du CNRS lors de la visite du président Macron. La recherche historique n’est pas en reste et une commission mixte a été créée avec l’objectif, déclaré officiellement par les deux partenaires, de dépasser les contentieux mémoriels.
Cependant, tout semble être gelé actuellement à cause d’énièmes embrouilles diplomatiques, parallèlement à la volonté affichée des autorités algériennes de généraliser l’usage scolaire et universitaire de l’anglais. Là aussi, le pédagogique a vite fait de céder face aux fondamentaux politico-idéologiques. On a occulté le fait que c’est moins l’apprentissage d’une langue qui pose problème que celui de la pédagogie, de sa mise en œuvre, de ses contenus et des modes de socialisation qui la portent. C’est ça qui a le plus d’effet sur les systèmes de pensée et les démarches qu’ils produisent sur les générations.
On observe, d’ailleurs, que les réformes universitaires initiées en Algérie, et dans les pays maghrébins en général, ont tendance à copier les réformes des systèmes d’enseignement des pays occidentaux, celui de la France versus celui des pays anglo-saxons, alors même que les conditions socio-historiques, économiques, culturelles sont différentes. Il n’y a souvent aucune réflexion sur des modalités d’adaptation locale puisque, comme on l’a vu pour la réforme dite LMD, il s’agissait de reproduire sans débat de la communauté universitaire, ni débat sociétal, les prérequis européens. Il y a donc nécessité de penser un espace algérien, et au-delà maghrébin voire africain, de l’enseignement et de la recherche qui soit dynamique et ouvert. Et de ce point de vue, la coopération est plus que nécessaire, elle est indispensable pour autant qu’elle ne soit pas dépendante.
Organiser et développer un système d’enseignement supérieur et de recherche nécessite de s’inscrire dans le temps long de réformes prenant en charge les conditions des changements qualitatifs du pays et non de répondre au coup par coup, en fonctions de prérequis politico-idéologiques et des pressions du moment. Une réelle redéfinition des institutions d’enseignement et de recherche algériennes nécessite une prise en compte, avant tout, des demandes sociales, économiques, locales, voire régionales, et non pas seulement celles du marché mondialisé. C’est dans la société, la culture et la transformation radicale des représentations à l’égard du travail, des savoirs et du corps, que se trouvent les fondements d’une réelle appropriation des institutions éducatives.